Quand Macron a raison

Macron a raison. Je découvre à l’instant ce qu’il a dit aux jeunes créateurs de start-up dans la Halle Freyssinet 1. C’est exactement ce qu’un cœur attentif peut sentir et ce qu’un esprit juste peut penser.

Dans mon article Le pas gagné, publié ici il y a deux jours, j’ai parlé de la réussite, de la loi Travail, de La France insoumise et de quelques autres affaires en cours. J’y ai aussi expliqué quel choix, à mes yeux fondamental, s’impose au président de la République. J’y ai même évoqué mes dispositions à la sauvagerie et mon goût de rouler à contresens. On s’y reportera. Et on trouvera aussi, sur ce site, les critiques que j’ai adressées, et que j’adresse toujours, à Emmanuel Macron.

Je ne m’attendais pas à prendre, deux jours plus tard, la défense, la défense furieuse, d’un homme trop facilement et trop bassement attaqué. C’est la première fois, depuis la mort de Charles de Gaulle, que j’ai envie de défendre le pouvoir contre ceux qui l’attaquent. Je vais le faire sans chercher à démêler, dans ces attaques, la part de la mauvaise foi de celle, probablement dominante, de l’immense et générale stupidité qui descend en procession ou dégouline en pluie tiédasse des supposées élites au peuple bien réel.

Cette allocution, j’aurais voulu l’avoir prononcée. Ce n’est pas un machin concocté par un communicancant. C’est une parole. Vibrante comme l’est toute parole. Vivante. Il faut être plus sourd qu’un pot pour ne pas l’entendre.

La pensée qui nous gouverne, de La France insoumise au Front national, sans oublier de faire un arrêt à toutes les stations intermédiaires, n’est pas la pensée moderne. Ni postmoderne. Ni économiste. Ni libérale. Ni socialiste. Ni mondialisée. Ni unique. Rien de tout cela. C’est la pensée du refus de penser. Je n’ose imaginer quel nom on lui aurait donné dans mon HBM natal où vivaient les amis de Coluche, mais il eût été malsonnant.

Comprenez bien, les jeunes ! Même si le langage de la banlieue n’est pas de sa culture, c’est à cette non-pensée que Macron s’est attaqué. Enfin, ça y est, quelqu’un l’a fait, et qui a du pouvoir ! Si la voix tremble un peu, si le ton est tendu, c’est que, probablement, il lui en coûte. Moi,  je le nomme formateur d’honneur : quand on parle aux gens, on se déshonore si on ne prend pas tous les risques.

Que dit-il à ces jeunes entrepreneurs ? Si je comprends un peu le français, deux choses.

La première, c’est que la réussite, ce n’est pas grand-chose. Oh! que je suis d’accord ! Parce que ça fixe, parce que ça bloque, parce que ça nie le mouvement de la vie. « Du ciel, du ciel, du bleu ! » Parce que, que nous le voulions ou non, nous sommes sur cette terre, comme disait Gabriel Marcel, des hommes voyageurs ! Comme disait aussi mon cher Jacques Berque : « C’est le vaste qui commande ! ».

La seconde, c’est que toute l’époque moderne nous confirme dans ce sentiment, nous oblige, en dépit de nos réticences, à prendre conscience du double mystère de notre origine et de notre destin. Notez au passage, nullissimes traîne-patins du management mondialisé, que Macron pulvérise, écartèle et ridiculise l’idée que vous vous faites des objectifs. Seul objectif : l’immense ! L’immense au dehors, l’immense en-dedans, l’immense de nos limites elles-mêmes, l’immense de l’inconnu dans le connu ! « Écoute petit homme ! », continue à nous murmurer Wilhelm Reich.

Quel cadre plus juste qu’une gare pour dire tout cela ? Quoi de plus concret, comme l’on dit, de plus réel, de plus incontournable ? Dans quel lieu se rencontrent le mieux l’immédiat et le lointain, l’ici et l’ailleurs, l’instant et l’éternité ? Une gare, c’est une rencontre d’infinis. À chaque fois qu’ils prendront le train, même et surtout si c’est pour aller gérer leurs intérêts, les auditeurs de Macron reviendront à ce qu’il leur a dit et entendront à nouveau la très vieille invitation : « Plus oultre ! »

Il paraît qu’il a lâché une horreur : « Les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. » Mais c’est admirablement bien dit ! Attendez, les élites ! Quand vous êtes au milieu de la foule piétinante, grise, étouffante, quelle idée d’elle se forme en vous ? Votre fatigue, votre sueur, vos crampes vous disent quoi ? Que vous participez à un concours de peuple citoyen ? Que vous contribuez, dans le vivre ensemble, à l’effort économique du pays ? Quand se superposent en vous les deux images des grands talents encouillonnés dans leur luxe et de cette masse humaine indifférenciée, vous ne sentez pas qu’il y a les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien, vous ne pensez pas au poète et à « ce qu’on fait de vous, hommes, femmes », vous ne vous sentez pas vous-mêmes harcelés par la même angoisse ? Et pourquoi ne le diriez-vous pas ? Et pourquoi reprochez-vous à Macron de le dire alors même que tout l’effort et tout le sens de son discours, qu’il tire de lui-même mot après mot avec une émotion qui l’authentifie, est de nous aider à échapper à cette saleté ?

Une chose m’étonne. Pourquoi de si fervents adeptes des Lumières, de la sociologie, de la chose politique, du pragmatisme, des rapports de force, entendent-ils ce propos comme le feraient des essentialistes, des platoniciens, des thomistes ? Pensent-ils sérieusement que Macron considère qu’il existe des citoyens qui ne participent pas de l’être, qui sont plongés dans le néant, dont l’existence est pure illusion ? Quand eux-mêmes disent que, dans une entreprise, tel employé n’est rien, ne veulent-ils pas dire simplement qu’il n’a ni pouvoir ni influence, qu’il compte pour du beurre ? Comme ils sont curés, tout à coup, tous ces bouffe-curés appliqués ! Quand il faut émouvoir, en eux et dans leurs semblables, dans l’espoir de marquer vite quelques petits points dans les sondages, les ressentiments les plus obscurs, comme ils les retrouvent vite, ces zones régressives dont ils passent leur temps à dénoncer l’archaïsme !

Branle-bas de combat, il faut sauver les apparences. Comme naguère la petite bourgeoisie adultère. Si le pouvoir pique dans leur assiette le meilleur de leurs revendications, de quoi vont-ils vivre, les malheureux ? Les voilà réduits à s’en prendre aux mots, à faire la police des mots. On peut brailler cul et bite aujourd’hui, mais dire que les gens ne sont rien alors que ça gueule de vérité, c’en est trop, n’est-ce pas ? Pas grave. Si l’on commence vraiment à nommer les choses, ils n’y pourront rien. Comme disait l’autre, nommer, prudes dames et seigneurs coincés, c’est faire changer : si l’on continue dans cette voie, m’est avis qu’on va pouvoir commencer à parler sérieusement de nouveau monde.

3 juillet 2017

Notes:

  1. Voici ce qu’a déclaré Emmanuel Macron le jeudi 29 juin, dans la Halle Freyssinet à Paris : « Ne pensez pas une seule seconde que si demain vous réussissez vos investissements ou votre start-up, la chose est faite. Non. Parce que vous aurez appris dans une gare. Et une gare, c’est un lieu où l’on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où l’on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage. Parce que la planète où nous sommes aujourd’hui, parce que cette ville, parce que notre pays, parce que notre continent, ce sont des lieux où nous passons. Et si nous oublions cela en voulant accumuler dans un coin, on oublie d’où on vient et où l’on va. »