Les pavés sont faits pour être lancés dans les mares, pas dans les permanences parlementaires. Pour ma part, briser des vitres républicaines ne m’a jamais tenté et il me faudrait chercher longtemps pour trouver quelque sens à un chamboule-tout de ce genre. Bien sûr, tous ces petits bouts de verre sur le sol me désolent et je plains de tout mon cœur les militants qui vont les ramasser un à un, au risque de se couper. Dois-je pourtant avouer que mon chagrin n’est pas entièrement écrasant, qu’il ne pollue pas en moi toutes les sources de l’espérance, et que la minutieuse précision avec laquelle les médias – je veux dire les immédiats, les fugaces – rendent compte de cet horrible forfait creuse dans ma conscience une légère perplexité qui ne tarde pas à accoucher de quelques évidences assez roboratives ?J’ai beau faire en effet : le compte n’y est pas. Je veux bien que par l’image et par le son, par l’écrit et par l’oral, on me représente l’immensité de la catastrophe. Je veux bien qu’on cherche à m’expliquer l’exacte trajectoire de ce pavé agressif, qu’on ne me laisse rien ignorer de l’angle sous lequel il a attaqué la vitre, qu’on me montre, pour mon épouvante, quel meuble il a failli toucher ou frôler, quelle image altière, peut-être même, à Dieu ne plaise, présidentielle, il a risqué de meurtrir. Dites-moi tout de cet abominable drame, je n’en sourirai pas. Je vous écoute, vous savez. Mais je veux qu’à votre tour vous m’écoutiez. M’emmerder avec ce pavé quand on prolonge de deux ans le bain de management où croupissent les travailleurs de mon pays, c’est se foutre d’eux et de moi. J’attends des médias, des immédiats, des fugaces qu’ils me racontent avec la même gourmande précision comment cette loi a caillassé la conscience des Français, comment elle a brisé des projets légitimes et des espérances secrètes, comment elle a enfoncé un peu plus les cœurs dans le gouffre immonde de la résignation. Cette loi hautement significative, simple concession servile à la lâcheté des temps que les économistes les plus écoutés, les plus considérés, les plus bancaires, ne parviennent même pas à défendre, je veux qu’ils l’appellent la loi pour Rien, ce Rien qui, pour notre honte, pour notre immense peine, est devenu la plus glorieuse spécialité de cette petite-mondaine hargneuse et trouillarde qu’on n‘ose plus appeler Europe. (J. S.)

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La section Points chauds a été augmentée le 28 mars 2023

 Dans un monde en chaos