par Stéphanie Henry
La porte était restée ouverte. Et pourtant. Insidieusement, la porte ouverte sur son âme de femme de 51 ans se referma peu à peu, il lui manquait un cale-porte, de la volonté sûrement. Son psychiatre lui avait conseillé depuis le mois de juin de s’adonner à la méditation, d’explorer son intérieur, d’échafauder une image mentale qui lui ferait du bien. Quittée par son mari Jean-René il y a 15 ans, sans enfant, directrice comptable dans une société anonyme, entourée de collègues anonymes, un bureau vitré anonyme qui avait assisté à la mort de trois lierres, deux amaryllis et un ficus en pot, un pavillon glauque en banlieue, une solitude pesante : quelle image pourrait lui faire du bien ? Quel intérieur explorer ? Le sien se résumait à un aspirateur sans sac et des canapés en nubuck. Seule originalité : un couple de chiens en porcelaine d’un style english kitch achetés par son ex-mari dans un vide-greniers en Bourgogne. Les chiens postés derrière le côté rue de la Véranda – elle avait réussi à éviter le verre fumé – avaient pour mission de protéger leur bonheur.
Elle avait tenté d’expliquer avec ses mots, au psychiatre, qu’elle avait développé un drôle de syndrome. Celui de la cabane. Un repli sur elle-même, sur son enfance dans le Sud-Ouest, à Tarnos. Son pavillon qui ressemblait à tout sauf à une cabane, en abrita une, dressée dans le salon. Elle avait 51 ans et malgré tout elle construisit une cabane, avec des vieux draps en lin, des manches à balai, des coussins, une lampe tempête, des lampes de poche. Cela ne ressemblait pas à « l’esprit cabane », « roulotte » ou « gipsies » décrits dans les magazines de déco. Le psychiatre qui s’assoupissait très souvent, ne comprit goutte à son histoire de cabane. Cette cabane l’aspira encore plus profondément dans sa solitude, son étrangeté. Au fur à mesure, elle arrêta de se présenter à son travail aux Ulis, prétexta qu’elle ne pouvait laisser ses chiens seuls. Son directeur fut un peu étonné, il n’avait jamais entendu parler de ces teckels à poil long. Elle était extrêmement sérieuse, jamais elle n’aurait imposé à sa direction le télétravail. Le seul lien social qu’elle maintenait à cette époque pré-cabane, étaient ses courses chez le primeur, le fromager, à l’épicerie. Elle décida de se faire livrer de la nourriture toute prête, comme sa voisine qui avait bientôt 102 ans, et dégringola très vite vers la restauration rapide, livrée. Ce qu’elle mangeait, sa façon de vivre étaient en opposition complète avec la pratique du yoga. Elle persévéra en suivant tous les matins des cours en ligne. C’était ce qui l’ancrait à la réalité, le seul moment qui rythmait sa journée. Ce qu’elle préférait était la méditation, la recherche de cette image mentale qui lui ferait du bien. Ce jeudi, elle la débusqua enfin. Elle est assise, elle tient serrée la main de sa maman, elle regarde par la petite fenêtre ronde, elle délaisse son Pif Gadget pour regarder de tous ses yeux l’élévation dans les nuages, le ciel bleu après la vitesse sur le tarmac qui lui fit un nœud au ventre. Elle ferma les yeux, la porte était pourtant restée ouverte. Elle ferma les yeux et repartit en Corse en avion pour la première fois de sa vie. Elle retint son souffle, lovée à l’intérieur d’elle-même, un autre continent surgit bientôt. Elle fut aspirée par l’ivresse des profondeurs de ses souvenirs, cette époque du baptême de l’air où tous les possibles existaient. Elle choisit de ne pas remonter à la surface et de fermer la porte de son âme.