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Le mousse du super

LE MARCHÉ V

Retour à Paris. On n’est pas des anges : d’abord le super. Comme d’habitude, pour déconcerter l’adversaire, c’est-à-dire le client, ils ont tout changé. Pas moyen de trouver les salades. Je demande à un grand gaillard vêtu de bleu s’il est du rayon. Il prend un air offensé. Non, il n’est pas vraiment du rayon : il est du magasin. Il me laisse le temps d’apprécier la différence puis, le coude sur un chariot de haricots, consent à m’expliquer. Le magasin, c’est un navire. Je ne suis donc jamais monté sur un navire ? Tout le monde y est solidaire. Pareil dans le magasin. Surtout, à notre époque, où c’est dur pour le commerce. Ce qu’il faut que je comprenne bien, c’est qu’il y a deux catégories dans l’équipage, aussi importantes l’une que l’autre pour la vie du navire. Les matelots à poste fixe, et les autres, disons… disons les mousses. Lui, il est un mousse, il fait ce qu’on lui dit, il va où on l’envoie, il est au service du capitaine. Bonne journée, Monsieur.
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Si seulement il se moquait de moi ! Hélas ! Il répète ce qu’on lui a raconté en formation. Le pauvre ! Ce qui lui arrive est bien plus grave que de suer sang et eau devant une chaudière. Ou de faire les quatre-vingts heures. Ou de fournir leurs bouquins à tous les Zola du monde. À tout cela on peut encore remédier par la révolte, l’espoir, la lutte. Au mousse du super, en revanche, il est arrivé l’irrémédiable : il s’est lui-même interdit de souffrance, de révolte, de cri. Comment oserait-on se plaindre quand on fait partie de l’équipage du paquebot Le Super qui fonce, de toutes ses machines, sur l’océan du Progrès infini, vers le Paradis du Cac 40 ? On a mis à portée des angoisses et des colères de cet homme, en manière d’extincteur, un délire d’aventures qui, tant qu’on ne l’aura pas licencié, le protégera de tout, lui cachera tout, lui traduira tout. Licencié, il pourra encore se raconter que, dans l’intérêt général, le capitaine doit parfois avoir le courage d’abandonner au port, le cœur déchiré, quelques-uns de ses meilleurs matelots.
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Plus naïf que la moyenne, ce mousse ? Peut-être. Mais, par là, superbe révélateur de l’escroquerie au rêve qui est la spécialité de toute une partie de ce qu’on appelle encore la « formation ». Son rôle ? Mettre ce qui reste dans les travailleurs d’enfance, de timidité, de gentillesse native, de docilité, au service de l’avidité du cynisme général et des quelques insuffisants existentiels qui l’organisent. Il n’est pas vrai qu’il n’y ait rien à faire. On peut tout faire et tout de suite. On le peut en toute légalité, en tout esprit démocratique, en toute droiture. Si le monde économique est le centre vital de l’aberration moderne, si les entreprises sont le centre vital du monde économique, si la propagande managériale est le centre vital des entreprises, c’est là qu’il faut atteindre la bête. Par quelles armes ? La parole, le vocabulaire, le courage de nommer, l’invention drolatique. Rien d’autre, mais, cela, jusqu’au bout.
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On nous impose la propagande ? Cassons la propagande. Est-il crapuleux, oui ou non, le personnage qui a inventé cette histoire de navire ? Alors cette mystification doit être traitée pour ce qu’elle est. Il faut inventer un contre-langage qui la donne à voir. Par exemple : « Tu fais quoi la semaine prochaine ? » – « Je vais en formation. » – « Formation de quoi ? » – « De crapulerie. » Pas besoin de charger la barque à l’excès. L’animateur d’une crapulerie n’est pas forcément une crapule. On peut inventer un mot moins méchant, presque indulgent : crapulard irait bien. Nommer, ce n’est pas toujours faire changer, mais, ici, Sartre a raison : nommer la manipulation, c’est lui porter un sacré coup.
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Mettre systématiquement les salariés devant le libre choix. À eux de savoir, par exemple, si le mousse du super a bénéficié d’une session de communication ou s’il a subi une agression crapuleuse, un viol intellectuel. Pour qu’ils répondent à la question, encore faut-il qu’elle leur soit posée. Qu’attendez-vous, camarades syndiqués, pour porter le combat sur ce terrain-là ? Les autres aspects de la lutte en profiteraient. N’êtes-vous pas d’accord avec cet objectif très simple, très paisible, j’allais dire très français : aider les gens à employer les mots qui correspondent à ce qu’ils sentent, déblayer au maximum les bavardages meurtriers ? S’il faut à tout prix que le super devienne le paquebot Le Super, alors qu’il soit clair pour tout l’équipage, y compris pour le commandant, qu’il ne cinglera jamais que sur l’océan de la Connerie.
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Reconstituer une sensibilité sociale moins tordue, ce n’est pas un beau programme ? Quoi, vous ricanez ? Vous dites que le poids de la réalité est bien plus lourd que je ne l’imagine ? Ah! chers spécialistes de la pesanteur, comme elle vous colle le cul sur votre chaise aux normes syndicales, votre réalité ! Comme elle vous renvoie dans l’arrière-gorge toute parole un peu hardie qui voudrait aller prendre le frais dehors ! Comme ils vous embrument l’esprit, les psychotrucs et les sociomachins, ces cache-sexe de votre exquise délicatesse (privée) à l’égard des puissants ! Dire que vous allez me trouver intolérant, vous qui ne tolérez que votre paresse ! Comprenez-vous ? Ce que vous appelez le poids de la réalité, c’est la monotone, c’est l’inépuisable répétition de vos hésitations. Auriez-vous secrètement besoin, vous aussi, qu’un chat ne s’appelle pas un chat ?
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Ça commençait sec, l’année… Pourtant, au retour du Beaujolais, une courte halte à Sens avait été bien plus sereine. Il y avait concert d’orgue dans l’admirable cathédrale, et une exposition sur le vitrail qui représente l’histoire évangélique du fils prodigue parti bouffer sa part d’héritage « avec des filles » en laissant tomber son vieux père ; mais le père, quand son grand gamin revient, fait la plus belle fête de sa vie, enfile ses jeans les mieux troués et tue le veau gras sans hormones ; alors le frangin du fils prodigue, le gars sérieux, celui qui n’a rien loupé de ses devoirs, se met à faire la gueule ; et le père l’avertit qu’il n’a que peu de temps pour comprendre, que c’en est fini des comptes, et des calculs, et des vertus, que le climat du cœur a changé, qu’il peut se mettre son management où il veut. Et des beaux textes, sur les murs de la cathédrale, expliquent que le péché originel, ça doit se lire à l’envers, que le départ, c’est le pardon originel, le grand filet de l’amour où les petites sardines que nous sommes, à la fois créées et libres, donc forcément imparfaites, sont invitées à venir frétiller.
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Bien sûr que c’est vrai tout ça, c’est même plus vrai que le vrai ! Mais alors, mon super, qu’est-ce qu’il fabrique là-dedans ? Pourquoi toutes ces vies dominées par la bouffe des autres ? Pourquoi ce pauvre mousse intoxiqué ? Qu’est-ce qui peut sauver un super ? L’affabilité publique ? Porter le sac des vieilles dames, sourire aux caissières ? Un peu court, non ? Naguère des illuminés voulaient y installer des centres de méditation. Pourquoi pas des pédicures, des psychiatres, des bordels, des montreurs d’ours ? Les gens du super m’importent, pas le super. Rien à faire pour un super ; contre, non plus. C’est un déchet socio-culturel, comme on parle d’un déchet nucléaire. Rien ne mord sur un super, signe majeur de notre société. C’est du pratico-inerte organisé, cristallisé, du concret sans références, sans abstraction possible, c’est-à-dire du néant à l’état pur. Voilà pourquoi notre mousse avale tout ce qu’on lui raconte : trente-cinq heures de néant, c’est insupportable. Personne n’est taillé pour vivre dans le rien, comme un ermite à l’envers immergé malgré soi dans la matière.
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Extraordinaires vendanges, cette année, dans le Beaujolais. De mémoire de vigneron, les plus précoces et, du point de vue de la quantité, les plus décevantes : la canicule, ajoutée à la grêle, au gel, au vent, au caprice de la nature, en a décidé ainsi. Mais le vin sera bon, bien sûr, très bon. Étrange comme cette crise, pénible pour tous, désastreuse pour certains, est une occasion, presque heureuse, de parler. Car, pour une crise, c’en était une : le vin, les saisons, l’avenir, tout semblait péter comme un bouchon sur une bouteille de paradis. Le village était en état d’expression. Et puis, les vendangeurs ne sont plus ce qu’ils étaient ; alors les commerçants se protègent. Mon ami Ettore Gelpi, qui nous a quittés l’an dernier, expliquait toujours que le caractère chinois qui désigne la crise est fait de deux caractères, l’un qui signifie chance, l’autre danger. Le danger qu’a couru le fils prodigue lui est devenu une chance ; la chance du fils vertueux lui est devenue un danger. Méfions-nous de ceux qui veulent nous éviter les crises : ils consolident leur pouvoir. L’autre avantage du Beaujolais, c’est que les vignerons ne suivent pas de formation au management ; ils parlent donc encore selon leur langue, selon leur esprit, selon leur cœur. On est bien avec eux.
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La jeunesse américaine qui s’interroge sur la triste aventure irakienne devrait méditer sur deux citations d’auteurs français du XXe siècle. La première est tirée d’un rapport présenté à l’Administration coloniale, en 1947, par Jacques Berque, alors en poste au Maroc, rapport qui lui valut d’être expédié dans le Haut Atlas : « Le vrai ordre ici serait que nous n’y fussions pas. » La deuxième citation est d’Aragon. Elle parle d’un gentilhomme parti pour la guerre, et qui n’en revint pas, comme hélas! beaucoup de jeunes Américains emportés dans la tourmente avec ceux qu’ils croyaient devoir combattre :
Jean de Schelandre est mort à Saumazènes
D’une blessure à la guerre qu’il eut
Naguère allant sous Monsieur de Turenne
Porter la France ailleurs qu’il eût fallu
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Et la jeunesse française ? Une fille raconte à la télé qu’elle vient de passer le bac. Que l’épreuve était difficile ; que l’année, en gros, a été mauvaise, mais qu’elle a réfléchi sur sa vie. Elle dit qu’elle a envie de faire autre chose que l’école, et, comme cela, de se « casser la gueule » et de pouvoir se dire que l’école, c’était mieux. L’école comme pis aller, comme roue de secours, comme protection contre soi. Que dire ? Que plutôt que réfléchir sur sa vie, il vaut mieux laisser sa vie se réfléchir en soi ? Formules, formules…
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Quand même, il faut se poser la question. Qu’est-ce que je dirais à un jeune ? Allez, je me mets moi-même au défi. S’il faut vraiment répondre, ceci : « Accueille de tout ton cœur l’à venir. Sur ce qu’ils appellent tous ton avenir, tire la chasse. »

(15 septembre 2003)

Un employé de banque fait le bilan

(Entretiens de Gilbert Soury avec Jean Sur)

« Cette année, j’ai eu droit à la médaille du travail « grand or ». Quarante ans de boulot ! J’ai cru pendant longtemps que travailler, c’était gagner sur tous les tableaux : réussir sa vie, donc se sentir bien, donc être bien avec les autres. J’arrive à la fin de mon activité professionnelle et je révise mon jugement. »

Cette banque où Gilbert Soury travaille depuis longtemps, j’allais une fois par mois y animer une journée de formation. Avant qu’une série de fusions, absorptions ou autres passionnantes manœuvres de ce genre ne lui ait retiré toute originalité, je l’ai vue se préparer, telle une fiancée, à ses épousailles avec la modernité. Au début des années 80, il y régnait un climat vaguement suranné, mais aimable et courtois. Les patrons étaient des gens de culture, de vrais amateurs ; exigeants mais nullement cyniques, épris de tradition mais, pourvu qu’elle ne les brusque pas, curieux de nouveauté. Une bourgeoisie modérément généreuse mais attachante, sérieuse comme un grand vin ; une bourgeoisie comme dans les livres.

En dix ans, j’ai vu arriver la barbarie et les barbares. Sur leur bannière était inscrite leur fière devise : productivité. Moi qui n’attendais nul avantage de cet épisode navrant, j’ai eu tout loisir de le contempler ; je ne trouve pour l’évoquer que des métaphores chirurgicales. Amputation, trépanation, ponction, pose systématique de prothèses, jamais je n’ai vu tant de haine obtuse, tant de méticuleuse sottise. Un attentat systématique au bon sens. Jamais je n’ai vu tant d’ignorants bouffis de ressentiment piétiner avec une telle rage tout ce qui, en eux ou dans les autres, ressemblait à de la liberté. Jamais je n’ai vu d’aussi près ce que c’est que haïr l’esprit. Et la gauche était au pouvoir ! Il y avait de quoi en pleurer un peu et en rire énormément.

Pendant deux ans, Gilbert Soury fut l’un de mes stagiaires. Mon rôle était plutôt de parler : je parlais. Le sien plutôt d’écouter : il écoutait. Mais son silence me parlait. J’ai vite repéré en lui un homme de l’espèce la plus dangereuse pour le totalitarisme : un homme attentif. Au fur et à mesure que se succédaient les groupes, le non-dit ne cessait d’enfler et les mots de se détacher des choses : les silences, eux, devenaient de plus en plus loquaces. Gilbert Soury n’avait pas fait de grandes études ; loin d’être un handicap, cela l’aidait à sentir beaucoup plus finement qu’un autre ce qu’un kit d’idées creuses aurait masqué. De ces béquilles, d’ailleurs, il n’avait pas besoin : l’expérience de vivre, la tendresse pour autrui, un enracinement profond, une sensibilité toujours en alerte lui étaient d’infaillibles pierres de touche.

Quand, à cinquante ans, il se lança dans des études, ce fut moins pour collectionner les vanités que pour communiquer ce qu’il sentait ; moins pour le plaisir de recevoir que pour la joie de donner. J’appréciais sa conversation allusive, ironique, moqueuse. Je le sentais travailler à un jardin secret, à un canevas sur fond de paysage limousin. « Pour faire son solo, dit un écrivain africain, on s’appuie sur un coussin de paroles. » Je me demande souvent ce qu’ils ont fait de leur coussin, mes concitoyens, et s’ils en ont même jamais eu un. Au fur et à mesure qu’ils étaient censés se réconcilier avec l’entreprise, c’est-à-dire au fur et à mesure qu’ils la détestaient davantage, les salariés se réduisaient de plus en plus tristement à eux-mêmes. Ils ne savaient que braire les indices économiques, glousser comme des collégiens boutonneux autorisés de libido, réciter le journal, compter leurs points de retraite. De cette période en chute libre, Gilbert fut l’une des rares figures montantes. Il se développait. Non pas au sens des indices boursiers. Au sens photographique. L’obscurité de l’époque le révélait. Du dessous apparaissait au-dessus. Je me disais que la ressource humaine, c’étaient les gens comme lui, pas les zozos du DRH. Et la ressource humaine, avant même d’y avoir réfléchi, savait qu’elle était en désaccord absolu avec le nouveau cirque. En désaccord ? Même pas. Elle le regardait à peine. Elle n’en tenait pas compte. Elle ne le calculait pas, comme dit Sabrina. La modernité n’était pas pour Gilbert un adversaire idéologique, une erreur philosophique, une atteinte à ceci ou à cela : c’était une décalcomanie, c’était un rien du tout, une occasion de rire.

Quand il est venu chez moi pour notre premier entretien, il m’a parlé de son voyage en train, de la neige sur la campagne, de quelques instants heureux. Après le travail, il a préparé lui-même le déjeuner. Où s’est-elle barrée, mes enfants, votre réalité, où la laissez-vous traîner, malheureux ? Puis nous avons repris le dialogue. Sans nostalgie, sans illusions, il revivait des pans de son existence. Ce qui filtrait de ce café, c’était du tonique, du vrai, du costaud, du sympa, de l’ensemble. Son texte a pris forme tout de suite : du simple qui venait de loin.

Ce qui m’a fasciné quand j’ai relu ce petit livre, c’est la netteté du propos, sa hardiesse tranquille. Quelqu’un qui regarde sa vie, qui en soupèse les tranches. Le Limousin, ça valait quelque chose. Le syndicalisme, pourvu qu’on ne le pratique pas en apparatchik soucieux de faire du cinoche avec le patron, ça vaut quelque chose. Et puis, entre les deux, l’entreprise : quarante ans pour rien, ou si peu ! « Trop désespérant, ce constat, me dit-on avec cette logique pubassière qu’on prend pour une catégorie de l’esprit, il faut nuancer, c’est trop triste ! » Comptez là-dessus : on va récrire la vie selon vos envies ! Quarante ans pour rien, voilà ! Mais, si j’ai bien compris, Gilbert Soury s’en fout : on peut attendre quarante ans et plus si on a un canevas en train. C’est ça, la bonne nouvelle. Il la tient des pauvres, rois de la terre.

Gilbert Soury, Un employé de banque fait le bilan, entretiens avec Jean Sur, Collection Vox populi, Mettis éditions, 2006

(25 septembre 2006)

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Penser est un acte sauvage

Pochette

Entretiens de Jean Sur avec Julia Petri
(coffret de quatre DVD)

Au début de l’été 2010, j’ai reçu un mail de Chafik Allal qui m’expliquait qu’il travaillait comme formateur à ITECO, une association belge pour le développement et la solidarité internationale. Il me disait aussi être lecteur de Résurgences et qu’en accord avec l’une de ses collègues, Julia Petri, il souhaitait tourner avec moi un DVD qui, un peu à la manière d’un abécédaire, explorerait les thèmes principaux de mon site. L’affaire fut rondement menée : deux mois après, Chafik et Julia, en compagnie de Claudio, le cameraman, et de Patrice, l’ingénieur du son, s’installaient en France pour une semaine de tournage. Il en résulta plus de vingt heures d’enregistrement d’où fut extraite la matière d’un coffret de quatre DVD qui sera disponible à partir du 18 décembre.

Nous tombâmes très vite d’accord sur l’organisation de ce travail. Cinq thèmes furent définis :
I. Une brève percée du sens : les mots de Mai 68.
II. Un réalisme sans réalité : les mots de l’entreprise.
III. La société aux mains du management : les mots de la modernité.
IV. La standardisation des consciences : les mots du conformisme moral.
V. Vers la vie ou vers la mort : les mots de la formation.

Une phrase trouvée dans l’un des Marchés, me disait Chafik, avait déclenché l’idée de ce projet. Elle donne son titre au coffret : Penser est un acte sauvage. Impossible de mieux résumer ce qui m’a poussé, il y aura bientôt dix ans, à un âge déjà avancé, à me lancer dans l’aventure de ce site. Certainement pas la prétention de savoir plus ou mieux. Ni la certitude de détenir des vérités définitives. Encore moins le goût d’entrer, même par un trou de souris, dans le cirque médiatique. Ce qui m’a poussé, c’est le désir – le plaisir, le bonheur, la joie – de sentir, en moi ou dans un autre, la parole s’ouvrir. Montaigne l’a dit : “Un parler ouvert ouvre un autre parler et le tire hors, comme fait le vin et l’amour.” Et ce qu’un cœur ouvert souffle aujourd’hui à un parler ouvert, c’est d’abord un cri de rage, c’est d’abord un refus, c’est d’abord un non.

Oui, je vois en même temps, avec Fargue et Miron, que tout devient rien et, pourtant, que je suis arrivé à ce qui commence. Je dis je mais, si différents qu’ils soient, je suis persuadé que tous mes semblables, en un recoin plus ou moins visité de leur conscience, pensent et sentent ainsi. Personne ne me fera caler ni sur cette colère ni sur cette espérance. Ni, surtout, sur leur simultanéité, sur leur connaturalité, sur leur inséparabilité, sur leur sauvage complicité. C’est pourquoi j’ai saisi l’invitation amicale de Chafik et Julia comme une occasion d’exprimer par la voix ce oui et ce non que je ne pouvais signifier, jusque-là, que par l’écrit.

Chafik a porté le poids de la réalisation de ce coffret. Il s’y est engagé au-delà du raisonnable. Je ne vais pas l’en remercier solennellement, pas plus qu’aucun de ceux qui ont apporté leur concours à ce travail ou, depuis bien longtemps, à mon site. Pas de bilan, pas de discours, pas d’évaluation. « Ce que nous cherchons est tout »

Si le cœur vous en dit, ce coffret peut être obtenu en le commandant à :

floradelaplace@iteco.be

Prix du coffret : 18 euros