Archives par mot-clé : mythe de l’entreprise

Ça craque…

Sans un bruit, le mythe de l’entreprise vient de partir à l’égout. Aucun tintamarre ne l’en fera sortir, aucune manœuvre. De quelque manière qu’on le désigne – démission silencieuse, refus larvé, récupération de la liberté – le phénomène est majeur et irréversible. L’idéologie du management et la lamentable vision du monde qui l’a rendue possible n’ont plus d’avenir. Des fanatiques tenteront de réparer les dégâts mais, cette fois, leurs armes traditionnelles – menaces, violence, culpabilisation, séduction grossière – ne les sauveront pas. En laissant les travailleurs devant des sentiments qu’ils n’osaient s’avouer qu’à moitié quand les laminait la machine, la halte décidée par le virus les a obligés à les considérer, à les nommer, à les assumer. Le silence, l’angoisse, la solitude les ont reconduits à eux-mêmes, la propagande ne pourra plus les y rejoindre. Ce quelque chose de simple, d’évident, à la fois affirmation et refus, qu’ils ont trouvé ou retrouvé dans l’épreuve, ils l’ont senti infiniment plus vivant, plus sensuel, plus intelligent, plus fort, plus amical que ce que leur proposent les exigences hystériques d’un management borné. Le pas est franchi et sans retour. Les travailleurs ne voudront pas reculer et, s’ils le voulaient, ne le pourraient plus que contre eux-mêmes. Le travail n’est pas en question. L’entreprise n’est pas en question. Le courage n’est pas en question. L’idéologie managériale, quoi qu’elle tente désormais, est condamnée.

.

L’affaire a commencé avant la pandémie. L’alourdissement constant de la pression managériale alors que grandissait la fascination pour les prestiges de l’individualisme égoïste a provoqué les premiers craquements. Le tangping des Chinois, cette invitation à la position horizontale, et le quiet quitting, sa traduction occidentale, sont des réactions élémentaires. Pas de révolution là-dedans, pas la moindre invitation au sabotage. Pas non plus cette poussée de paresse que déplorent ceux qui, par pur désintéressement, veillent au grain du business. Le métro, plutôt, quand le voisin de banquette s’étale un peu trop et qu’il faut doucement le repousser : s’il vous plait, je suis là. L’entreprise managée est allée trop vite et trop loin, merci de ralentir et, surtout, merci de tempérer un peu votre morgue, la vie ne se résume pas à la production. Quelques concessions provisoires des patrons auraient tout apaisé, les travailleurs auraient fait semblant d’être contents. Mais le virus est passé par là. Pour nous, Français, la loi sur les retraites, si judicieuse, a encore chargé la barque. Choisir, pour imposer cette aggravation de la peine, le moment où les travailleurs du monde entier commencent à ruer dans les brancards, voilà qui laisse sans voix. La passion de la tragédie classique, peut-être, la fidélité à la règle des trois unités ? À voir. Quoi qu’il arrive, cet empressement, qui permet à nos compatriotes de méditer sur leur condition plus amèrement que leurs voisins, les invite aussi à revisiter, plus attentivement qu’eux encore, les sentiments que leur a inspirés la pandémie.

.

L’essentiel s’est joué pendant ces deux années, dans le silence. Souvent dans le drame, toujours dans l’inquiétude. Pour la première fois, ça s’est déposé. Quoi, ça ? La vie professionnelle. Vous savez bien ? Il y a deux vies, non, d’où sortez-vous ? La professionnelle et la personnelle, la vie au boulot et la vie perso, comme on dit sans rire. Une évidence, non ? Tout est fondé là-dessus, pas seulement l’entreprise. Une évidence qu’on fait semblant de digérer. Eh bien, le virus a mis l’évidence à déposer. Plus moyen de s’y tromper. Cette distinction est une ânerie. Cette distinction est une saleté.

.

On ose à peine le penser : sans le virus on ne s’en serait jamais aperçu. Il a fallu qu’on se retrouve chez soi, en chaussons, un mardi ou un jeudi, à 10h30 ou à 15h20. On regarde sur la télé les chiffres de la catastrophe, en soi ça parle en silence, ça bouge immobile, on s’interpelle, on se demande ce qu’on fout là, un jour comme ça, à une heure comme ça. Saloperie de virus. Aller se laver les mains, mieux vaut une fois de trop qu’une fois de moins. Accablement. Terreur ou stupéfaction. Mais, en même temps, sentiment nouveau. On n’est pas en vacances, on n’est pas en non-travail, c’est-à-dire encore en travail. On est en vacance. Sensation très nouvelle, très ancienne, de quelque chose d’indélogeable. On habite une pièce de soi toujours fermée. Rien de neuf, en vérité.  Elle a toujours été là mais on n’y a pas pris garde, ou seulement dans des circonstances spéciales, les plus joyeuses, les plus tristes. Et là, tout à coup, l’exceptionnel devient l’ordinaire, le nécessaire, l’indiscutable. Devant les images qui défilent sur l’écran, devant le ronron anxieux de l’information, quelque chose s’installe qui, du même mouvement, rapproche et éloigne le monde, les pensées, les sentiments eux-mêmes. On est revenu chez soi, dans la maison de l’intérieur qui, comme l’autre, a ses agréments et ses embarras. Retour ? Protection ? Un retour qui fait repartir, une protection qui expose. Oui, le monde existe. Non, je n’en suis pas un appendice. Il n’y a pas la vie personnelle et la vie quelque chose.

.

Une fois de plus, Stercora Consulting a tout compris. Si les salariés taquinent le quiet quitting, s’ils sont tombés amoureux du travail à la maison, s’ils font la moue pour entrer dans l’entreprise et la gueule quand ils y sont entrés, c’est parce que la pandémie leur a fait retrouver les valeurs familiales, c’est-à-dire, merci de ne pas le crier sur les toits, parce que le monde est désormais menacé par le supercovid de la flemmardise. Il faut donc, impeccable logique, avoir recours à l’homéopathie et faire incontinent à l’entreprise une injection de FVP, je veux dire de Family Values Premium. Directeur général de Stercora Consulting, Jacques-Edward Vazy-Lamoulinette, ancien élève de toutes les grandes écoles et spécialiste, à ses heures, de philologie sumérienne, de foie gras et de psychopathologie des dirigeants socialistes, n’a pas l’habitude de traîner. Sitôt pensé, sitôt réalisé, sitôt médiatisé. Et voilà pourquoi notre fille est restée muette quand elle a vu le résultat, le mercredi 23 janvier de l’an de grâce 2023, à 23h10, sur France 3.

Oh ! les pauvres Mesdames ! Oh ! les pauvres Messieurs ! Comme ils ont bien répété la séquence ! Ils entrent, l’air tout chose, et vont droit à un grand placard. Ils ouvrent leur petit casier, en tirent leurs petites affaires, les prennent sous le bras et partent je ne sais où, eux non plus. Leur place est aléatoire, me souffle-t-on. J’entends qu’ils sont allés à Thouars, je me revois à six ans, en exode dans les Deux-Sèvres : fantasme de fuite. Désormais, dans leur entreprise, la règle, c’est la bonne franquette. On s’installe où l’on peut. Où l’on veut. Liberté. Près de qui l’on veut. En souriant à qui vous plait. Liberté, liberté. L’essentiel, a puissamment réfléchi le consultant, c’est qu’il y ait de l’humain. Tout le monde applaudit : il faut de l’humain, de l’humain, de l’humain. Mais où le trouver à l’état pur, sinon dans les valeurs familiales ? Donc, pas de chichis. La bonne franquette. Quand même pas sorcier, non ? L’entreprise, c’est la bonne franquette, un point c’est tout ! Vous tenez à votre poste, oui ou non ?

Je ne peux pas tout raconter, ma mémoire n’a pas supporté. Il y avait un bar, avec un barman tout ce qu’il y a d’expert. Tout est fait pour que les gens se sentent chez eux, voilà ce que j’ai retenu, pour rendre crédible une absurdité puérile. Un jour, près du bar, peut-être installera-t-on des salons d’intimité, ou de méditation, ou de dégustation ? À la fin, une femme a dit trois mots, ça je ne l’ai pas oublié. Une grande femme, douce et solide, la cinquantaine. Un personnage de Sophocle, ou de Giraudoux. Avec un sourire d’une tristesse infinie, elle a murmuré d’une voix sourde que le travail, maintenant, c’était comme la famille …

Tout, vous comprenez, tout, ils leur auront tout fait dire, ces abrutis. Et ils le disent. Et, de France 3, rien. Pas un souffle d’ironie. Pas un sourire. Pas une vanne. Pas une pichenette. Encéphalogramme plat.

.

Des âneries de ce genre, ou d’un autre, il va en pousser beaucoup. Capter les sentiments nouveaux des travailleurs, trouver les moyens les plus judicieux pour les trahir en feignant de les reconnaître, cette promesse de nouveaux marchés va stimuler l’imagination des bricoleurs d’idées. Comment se décourageraient-ils de monnayer leurs inepties quand les évolutions en cours de la formation professionnelle, qui enfoncent un peu plus les jeunes dans le marécage machinique alors qu’à l’évidence il faudrait les aider à en sortir, leur sont un encouragement officiel ?

.

On n’est pas parti sur la lune, on n’explore pas les grands fonds. Rien n’a bougé, les choses sont ce qu’elles étaient. La bourse suit son cours, les footballers soignent leurs chevilles, les riches expliquent la vie aux pauvres. Mais voilà. Le virus s’est ajouté au climat, la guerre s’est ajoutée au virus, et toutes sortes d’embarras sont venus couronner le tout. Je sais bien qui, aujourd’hui, Bernanos traiterait d’imbéciles : tous ceux qui, ayant un pouvoir, une influence, des moyens d’expression, mettent toutes leurs forces à ne pas voir, à ne pas entendre, à ne pas comprendre. Et pourtant. Les bonnes vieilles valeurs qui cachent encore pitoyablement dans leurs jupes toutes sortes de petits malins, poubelle. Je ne dis pas qu’il faut les mettre à la poubelle. Je dis qu’elles y sont. Je dis qu’elles sont dans les poubelles des âmes. Et que les gens de pouvoir ou d’influence le savent. Et que tout se joue sur leur faire-semblant, sur la mondanité de ce faire-semblant. Non pas d’abord sur leurs convictions, sur leur intelligence, sur leur habileté. Sur des sentiments que personne ne mesurera jamais : une certaine capacité de détachement, un certain goût de la gratuité, de la générosité non-publicitaire. Avant de savoir quelle politique il faut faire, il faut savoir quelle idée on a de son destin, si elle est libre ou si, d’une manière ou d’une autre – il y en a tant ! – elle est mondaine. Le débat politique ne serait pas descendu dans l’abîme de sottise et de vulgarité où nous le voyons si ceux qui le mènent pouvaient croire un instant à ce qu’ils disent. Et les dispensateurs de morale qui poussent comme champignons dans les caves mettraient moins de haine à nous protéger de la haine s’ils pouvaient témoigner d’autre chose que de l’agressive frustration qui les cadenasse.

.

En tâchant de mettre un peu en ordre, l’autre jour, une étagère encombrée de bibelots, je me suis vu en train de ranger le monde. Quel bordel, là-dessus ! Foutre tout ça en l’air, et vite ! Oui, mais voilà. Je veux virer l’ensemble mais je ne veux jeter aucun bibelot. Même pas le plus ballot d’entre eux, surtout pas lui ! Un Rembrandt, un Rubens, une statuette de Camille Claudel, quand on les a chez soi, ils y restent, même quand on les a prêtés aux Américains ! Ces deux petits personnages de faïence, tout de blancs vêtus, le fiancé et la fiancée, l’un pour le sel, l’autre pour le poivre, avec leurs chapeaux percés de petits trous, comment voulez-vous qu’ils voyagent ?

.

« Dans un instant, nous annonçait-on récemment sur France 5, les petits riens d’un grand magasin. » La relation entre cette innocente présentation et ce qu’elle annonce est exactement celle que nous voyons maintenant entre ce que nous appelons culture, ou civilisation, et la réalité du monde. Les petits riens d’un grand magasin… Une histoire de jolis chiffons, n’est-ce pas, ou de bibelots, ou de lèche-vitrine, piquée d’aimables vendeuses et de clients dragueurs ? Pas précisément. Riens du tout, très beau film de Cédric Klapisch raconte les aventures d’un grand magasin en proie au virus du management et l’initiation sociale d’un homme habile et naïf, honnête et vaniteux, qui s’imaginait acteur et se découvre jouet. C’est l’histoire d’une société trompée, bernée, ridiculisée par l’argent. Voir le monde comme il est. Ces petits riens dont parle la dame, ce sont les employés du magasin, c’est-à-dire nous, elle, vous, moi. Le tout, c’est la saleté qui pèse sur eux, c’est-à-dire sur nous, elle, vous, moi.

.

Évitement, naturellement. Élusion. Mais, parfois, dans le décor des valeurs sans valeur, s’entrouvre une porte sur la réalité. Alors, c’est à trembler. Un train qui ne se décide pas à partir, il y a quelques jours, et la conversation s’engage avec un inconnu, de son état aide-soignant dans la Fonction publique hospitalière. Rien de mieux, pour causer, que de râler ensemble. Quand il apprend que j’ai été formateur, je n’ai plus qu’à l’écouter. Précisément, il y a quelques semaines, avec des collègues aides-soignants dans des hôpitaux psychiatriques ou des Ehpad, il a suivi une formation sur les relations au travail. Très bien, la formatrice, très bien. Très au courant. Beaucoup d’exemples concrets qui parlent aux gens, des trucs d’actualité. Orpéa, par exemple, elle a parlé d’Orpéa. Comme il faut, avec respect, elle ne prétend pas tout savoir et surtout elle n’est pas là pour juger. Orpéa, c’est juste un exemple qu’elle donne pour faire réfléchir. On dira ce qu’on voudra, mais cette affaire-là n’a pas été bonne pour cette entreprise, pas bonne non plus pour d’autres maisons de retraite que, forcément, on va soupçonner aussi. C’est pourquoi elle leur a expliqué qu’il est raisonnable de ne pas trop parler des difficultés de l’hôpital ou de l’Ehpad où l’on travaille. Le mieux, au fond, serait de ne pas en parler du tout. Même entre collègues, il y a des mots, en tout cas, à ne pas employer. Au cas où, avec certains patients difficiles, les relations seraient un peu limites, ne pas appeler cela maltraitance : c’est un mot de juges et d’avocats, il faut le leur laisser. Dans ces situations-là, si, par malheur, il y en avait, elle conseille de parler plutôt de malmenance. Ça, malmenance, c’est bon, les juges ne connaissent pas. Là, mon compagnon de chemin de fer reste un peu en silence, hochant parfois légèrement la tête, comme s’il avait encore besoin de confirmer son accord. Mais très bien, cette formatrice, vraiment très bien. Elle a même donné le nom de l’attitude qu’il faut prendre dans ces situations-là. C’est un mot qu’il ne connaissait pas, donc il l’a un peu oublié mais il l’a noté sur son portable. Le voici, il est là. Sûrement, c’est un mot étranger. Omerta, c’est ça, elle a dit omerta, il a bien noté. La bonne attitude, c’est l’omerta. Je ne devrais pas être étonné mais je le suis comme au premier jour, des tonnes de souvenirs s’amarrent à cette omerta. Il se lâche, l’aide-soignant, plus besoin de lui répondre. Il oublie la session et me parle de l’hôpital où il travaille. Du patient qui, au petit déjeuner, réclame du rab parce qu’il ne se contente pas du morceau de pain, de la petite plaquette de beurre et du minuscule godet de confitures auxquels il a droit et à qui l’on explique que le pays est en crise et qu’il faut respecter les restrictions budgétaires. Ça, l’aide-soignant le dit carrément, ça n’est pas normal. Mais enfin, encore une fois, la formation a été très intéressante. La seule difficulté est arrivée à la fin, quand le groupe s’est réuni sans la formatrice pour une évaluation collective. Là, ça a discuté sec. Un de ses collègues voulait qu’on écrive qu’on s’était foutu de leurs gueules : le groupe n’était pas d’accord, on ne parle pas comme ça. Alors on a mis qu’il y avait eu des échanges très francs, ce qui, de lui à moi, n’était pas vrai. Une autre chose encore l’a étonné. La formatrice leur a demandé de ne pas raconter à l’extérieur ce qui s’était dit dans la séance. Il n’a pas compris. Il n’y avait rien de secret là-dedans, vraiment rien de secret.

.

La loi du silence. Un organisme de formation, tout à la fois relais, serviteur et inspirateur de la direction, suggère, conseille, ordonne à des agents d’un service public de faire régner en son sein la loi du silence. Je n’étais pas trop naïf sur le management mais je n’avais pas imaginé qu’il cracherait un jour le morceau. Débâcle et/ou cynisme, omerta résume tout. Les managers n’ont plus l’énergie de mentir. L’épanouissement professionnel, c’est l’omerta. Le savoir-être, c’est l’omerta. Le sens du travail, c’est l’omerta. La communication, c’est l’omerta. On ne tiendrait pas de tels discours dans les entreprises si le monde qui les a inventées ne portait en lui tous les germes de leur imposture. L’esprit de la société où nous vivons contredit et combat les désirs les plus profonds de ceux qui la composent comme, dans l’entreprise, l’idéologie et les pratiques managériales contredisent et combattent les désirs les plus profonds des travailleurs. L’omerta au travail est la fille docile de l’omerta civile.

.

Ce qu’il faut faire et par où il faut commencer, je ne sais pas. Je sais que je ne sais pas. C’est pourquoi j’écris, pourquoi je dis ce que je dis. Je cherche des gens qui ne savent pas, des gens qui pèsent les choses en eux-mêmes, sur les balances de leur doute, de leur ambiguïté, de leur insuffisance. Experts s’abstenir : quand ils parlent, ils se taisent. Je cherche le contraire : des gens qui parlent quand ils se taisent. Qui parlent par l’humble et forte obstination de leur présence. Par leur trouble. « Émergés d’un trouble, nous ne sommes que trouble et ne créons qu’en troublant. » Je cherche ceux qui, en eux, laissent appeler. Les autres, si savants soient leurs mots, si vastes leurs projets, si nobles leurs ambitions, s’ils ne se laissent pas empoigner par un sentiment de contingence qui n’est ni orgueil ni modestie, sont des éviers bouchés qui gargouillent. De beaux éviers, souvent, des éviers de marbre et d’or. Bouchés. Je ne cherche pas des gens qui prétendent au vrai, au pur, au beau, au bien, au juste. Je cherche des enfances passées par le faux, l’impur, le mal, le laid, l’injuste. Je cherche des enfances victorieuses et blessées. Je cherche des enfances traversantes.

.

Vanité ou non, je rêve parfois que soient proposées à l’ensemble de la société les intuitions que j’ai suggérées à EDF dans une action de formation dont le nom, la Mise en expression, disait assez le projet et pulvérisait l’absurdité d’un aspect non-personnel de la vie. Je reviens vite à la réalité. L’action menée à EDF n’a été possible que parce qu’elle était fondée sur la lucidité de deux ou trois responsables et l’adhésion active de quelques agents venus des horizons les plus divers. Espérer voir nos instances politiques et médiatiques s’engager dans une telle démarche serait risible. Pourtant, parmi d’autres signes, la rencontre récente de cet aide-soignant me fait penser que nous ne sommes pas entièrement impuissants.

.

Ça craque. Ça craque dans le monde, ça craque dans les êtres comme dans mes vieux genoux quand je me baisse. Plus ça craque, plus ça résiste, bien sûr, mais plus ça résiste, plus ça se déchire et plus ça se dévoile. Stupéfiante définition des valeurs, samedi dernier, dans une émission d’Alain Finkielkraut où s’affrontent deux sociologues : les valeurs, ce sont des « fictions nécessaires ». Le ton n’est pas sarcastique, même pas ironique. Universitaire. Courtois et assuré. « Mes chers compatriotes, en ce début d’année 2024, rassemblons-nous autour de nos fictions nécessaires. » Le roi n’est pas encore nu mais il a déjà tombé la cravate.

19 février 2023