Archives par mot-clé : François Mauriac

Vacillements

LE MARCHÉ XXXVI

L’antidépresseur qui permet de se supporter serait un placebo ? Terrifiant. Les gens apprendraient, de but en blanc, qu’ils sont capables de ne pas dépendre ? Mais ils vont en perdre les nerfs ! Une association, vite !
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Quand le bientôt Directeur général délégué du Nouvel Observateur et ex-P.-D.G. de la Fnac énonce comme une évidence que « l’indépendance, c’est d’être viable économiquement », il scelle dans nos esprits le socle d’une dépendance bien plus redoutable encore, mais à laquelle tout ce qui compte dans ce cher vieux pays viendra rendre un hommage fervent ou résigné, sans se douter qu’il se prosterne devant une sottise. Si être indépendant, c’est dépendre de l’argent, autant supprimer le mot du dictionnaire. Sans doute, de nos jours, peu de projets peuvent-ils faire l’impasse sur les finances ; mais une chose est de s’en soucier, d’en relever le défi, une autre d’en faire la condition première de l’action, sa matrice. La viabilité économique, sorte de vertu selon les choses qui s’enseignera bientôt en première année de maternelle, n’est un préalable que pour les projets dont l’essence, quoi qu’ils feignent d’agiter d’éthéré, d’idéal ou d’humaniste, est économique. Pour les projets fondamentalement liés, à leur corps défendant, ou tolérant, ou désirant, à l’argent. Pour les projets habitués à le saluer machinalement, comme on salue sa vieille tante. On peut comprendre que M. le bientôt, etc. n’en ait pas été avisé : il existe pourtant des projets qui n’ont aucune vieille tante de ce genre à saluer. Et même si M. l’ex- etc. est et sera payé pour ne pas s’en douter, ces projets-là sont supérieurs aux autres du point de vue des finalités comme du point de vue des moyens. Les projets pauvres valent mieux que les projets riches ; les moyens pauvres valent mieux que les moyens riches. Les premiers, s’ils sont droits, ont une petite chance de barboter dans l’être ; les seconds, même s’ils le sont, ne feront, au mieux, qu’y mouiller leurs orteils. Les projets d’emblée soumis à la viabilité économique, même s’ils sont très honorables, restent, en dépit d’une illusion universellement partagée, des projets secondaires, nullement aptes à donner quelque sens que ce soit aux évolutions de l’humanité, seulement capables d’en renforcer la sujétion à des forces à tous égards inférieures à elle. Même si la philosophie était restée muette sur ce point, la simple observation quotidienne suffirait à nous persuader que le train des moyens riches dispose d’une sirène retentissante, mais ne va nulle part. Le train des moyens riches nous conduit de l’argent à l’argent, de l’argent comme moyen à l’argent comme fin : avant même d’être parti, il est arrivé. Sa destination, c’est lui-même. Il est à soi-même son propre butoir. C’est pourquoi, de ce train-là, si l’on veut voyager autrement que sur place, il est sage de sauter. Appelons cela le saut métaphysique, ou saut de la liberté. Il consiste en un changement de plan, en une manière différente de lire le monde et de l’habiter, en une modification du niveau d’être auquel on se place. Ce sport, sorte de chamboule-tout existentiel qui garantit de fortes émotions et des découvertes inattendues, se pratique pourtant dans l’immobilité et dans une clandestinité qui échappe à toutes les positions sociales identifiées. Les fans du saut existentiel sont bien plus nombreux que ceux du saut à l’élastique. Dans le RER, au super, nous ne cessons de croiser des gens qui, sans toujours oser se l’avouer, ont sauté ; aucune caméra ne les repérera jamais. Même parmi les autres, parmi les plus obstinés et les plus féroces des voyageurs de l’absurde, on ne trouverait personne que l’idée d’une telle rupture n’ait, une fois ou l’autre, taquiné. Quitte à démoraliser M. le futur et ex- etc., l’action politique consiste en ceci et, à parler strict, uniquement en ceci : faire savoir à ces gens qu’ils ne sont pas seuls. C’est là, comme on dit, tisser du lien social. À cela près que le fil qui le tisse, ce lien, est tout sauf social. Que le lien social ne lie que pour asservir, jamais pour réunir. Que le signe social n’est signe de rien du tout pour personne. Les vendeurs de ces 4×4 dont le nom résonne comme des cris de poulets salueront sans doute, en élargissant leur surface publicitaire, la place centrale qui sera réservée à cette perspective dans le Nouveau Nouvel, etc.
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Épanouissement. Pour Maurice Clavel, fantasme de tête de veau à l’étal du boucher. Je penche plutôt pour la plénitude du chou pommé. Souhaiter à cette rose de s’épanouir, n’est-ce pas s’accommoder secrètement de sa mort ? L’épanouissement, c’est trop ou trop peu. Trop pour la raison, qui n’y croit pas. Trop peu pour le désir, qui veut plus. La beauté de ce bouton de rose dépasse d’emblée l’image de la fleur qu’il deviendra peut-être. Son épanouissement, vérité difficile à admettre, n’est qu’un possible parmi d’autres. J’aime cette fleur, je n’attends d’elle que ce qu’elle est. Sa fragilité ne m’inquiète ni ne me déçoit. Sa faiblesse est la voie royale qui surplombe déjà et sa gloire et sa mort.
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Au foyer de Nanterre, on organise des soirées de poésie pour les clochards et les sans abri. Honneur à celles et à ceux qui en ont eu l’idée ! « Ça ouvre le cœur », dit l’un de ces malheureux. Oui. Mais j’écris cela dans une pièce douillette, près d’un feu de bois : un instant, j’en suis troublé. Alors, j’ai honte. Non pas de la pièce douillette, non pas du feu de bois. De cette pudeur avare.
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« Tout n’est qu’aventure sans objet, dit cet acteur américain, si le moi profond n’est pas engagé. » Ces banalités un peu solennelles ne me déplaisent pas. Mais à quoi puis-je donc reconnaître que mon moi profond est engagé ? Peut-être à ce mélange affolant de certitude et de doute qui, d’un même mouvement, me fait chercher refuge en moi-même et m’en expulse.
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Les femmes sont les égales des hommes. Il est donc nécessaire et urgent de le manifester en tous lieux, en toutes circonstances et en tous domaines. Sur l’égalité des salaires, je trouve les femmes trop patientes. L’affaire devrait être réglée, et l’aurait probablement été depuis longtemps si leurs théoriques alliés s’étaient montrés plus offensifs. Sur le fond de la question, je suis très marqué par les souvenirs de mon enfance populaire. Certains spectacles de la rue, certaines conversations familiales me font toujours frémir d’horreur. Les injustices commises à l’égard des femmes dégradent l’humanité tout entière : la solution n’est donc pas à chercher dans la complicité biologique des sexes. Celle des femmes n’est pas plus sympathique que celle des hommes. En flattant en elles cette tentation, on nourrit leur ressentiment sans servir leur cause. Une certaine manière de bercer les femmes de mélopées critiques ou sarcastiques n’a pour effet – ou pour but – que de leur fermer l’accès à leur singularité et d’organiser leur soumission sophistiquée à la décivilisation consommatrice. Aucune vraie libération, si lourde qu’ait été l’oppression, ne peut s’envelopper de rancœur.
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Cet ami met son zèle lucide et généreux à intervenir, par la parole et par la plume, dans les causes les plus variées. Neuf fois sur dix, j’approuve ses combats et partage ses analyses. Pourtant, je résiste. Contaminées par le climat ambiant, les interventions de ce genre me semblent de plus en plus frappées d’irréalité : il leur arrive même de servir efficacement ce qu’elles veulent condamner. Le temps est venu d’affronter le sentiment d’insaisissable que nous impose le jeu de la politique, de la culture, des médias. Nous devrions nous exercer humblement à le décrire, à en montrer les effets dans nos existences privées et dans la vie publique. Comme autrefois l’absurde de Camus, la nausée de Sartre, l’enthousiasme cosmique de Teilhard de Chardin, l’héroïsme tragique de Malraux, il faudrait faire sentir – hors de toute visée idéologique, théorique, et surtout apologétique – la facticité universelle de notre société. Cette recherche devrait être conduite avec une extrême simplicité, un immense désir d’authenticité. Quelques romans s’approchent de cet objectif, mais la forme romanesque, trop lourde d’intentions et d’histoire, n’est pas celle qui convient le mieux. Les temps vont trop vite. Si Baudrillard, Debord, Lejeune ont dit beaucoup, rien ne serait plus détestable que de durcir en dogme la pensée de ces initiateurs ; elle est un appel à l’invention, une invitation à la libération de la subjectivité, ou plutôt, pour reprendre le mot fécond de Pierre Emmanuel, de la transsubjectivité. Des griots, il nous faut des griots. Des trouvères de la liberté. Des troubadours de l’espérance. Qui aideraient chacun à s’affirmer dans ce qu’il éprouve, dans cet inexprimé presque inexprimable, commun et incommunicable, qui le fait se sentir vrai parmi les autres vrais. Ceux qui s’engagent dans cette aventure se délestent sans chichis de leurs opinions vaines, ils sautent du train de leurs préjugés. Sans doute voient-ils accourir d’un peu partout des cohortes de bons apôtres appointés, endoctrinés, catéchisés, moralisés, qui les supplient de se reprendre et leur prouvent, par raison démonstrative, qu’ils ne sentent pas ce qu’ils sentent, qu’ils ne le peuvent ni ne le doivent. Belle occasion de tout réapprendre à ces enrégimentés : que la vie n’est pas un théâtre, que la pensée n’est pas un discours, que les autres ne sont pas un jury, que nul ne va nulle part qui ne passe pas par soi-même. Ou, comme disait Duns Scot dont je viens d’entendre parler dans un déjeuner familial, « ad personalitatem requiritur ultima solitudo ». La personnalité requiert l’ultime solitude. Et non pas d’abord l’adhésion, l’intégration, la participation, la communication, etc. De l’utilité d’avoir un philosophe dans sa famille.
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Un Monde des Livres qui tapisse un placard depuis plus d’un an m’enseigne par la voie négative ce qu’un homme moderne convenable doit penser. Il s’agit d’un papier fort sévère de Roger-Pol Droit sur Heidegger que les pots de confiture n’ont heureusement pas trop endommagé. Je n’ai certes rien à ajouter à la controverse sur un philosophe que je ne jure pas avoir vraiment compris, mais dont quelques formules m’ont touché en plein cœur, ou plutôt à l’exacte intersection de la pensée et du cœur. Je passe sur plusieurs reproches philosophiques ou littéraires que Roger-Pol Droit fait à Heidegger pour m’en tenir aux chefs d’accusation majeurs. Heidegger, dit ce critique, « affirme que « la science ne pense pas », affiche continûment sa haine du cosmopolitisme et de la modernité, son mépris pour la rationalité, sa détestation de la technique, sa surestimation abusive du rôle des poètes. » Et, peut-être plus mondain que philosophe, ajoute immédiatement : « Ces aberrations bien connues n’intéressent pas grand monde entre Berkeley et Pékin. » Non ? De Berkeley à Pékin, on est à ce point idiot ? On tient les poètes pour de gentils rossignols ? On vénère la technique ? On se prosterne devant la rationalité ? On imagine une pensée de la science qui nicherait ailleurs que dans le doute du scientifique ? J’étais donc un heideggérien sans le savoir ?
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Je le constate sans plaisir parce que j’ai beaucoup aimé travailler dans le service public : ses idéaux se sont effondrés aussi vite que le Mur de Berlin. Dans les années 90, les syndicats EDF gonflaient encore les pectoraux : devrait-on leur passer sur le corps, ils ne lâcheraient rien de leur idéal ! Pas un agent, à l’époque, qui, en fronçant le sourcil devant la poussée managériale, ne célébrât avec émotion les temps héroïques de la nationalisation. Je sentais bien ce qu’il y avait d’un peu appliqué dans ces élans ; emporté par mon action, je ne m’y attardais pas trop. Tout cela était finalement mythique. Les convictions résistent mal aux avantages qu’elles procurent. Si les agents EDF avaient cru ce qu’ils disaient, ils se seraient révoltés. Sauf à décider pour eux, en sorte de se protéger soi-même, que leurs conditions matérielles le leur interdisaient : cette indulgence intéressée, plus possessive qu’il n’y paraît – d’allure surmoïque, dirait peut-être Jean-Claude Michéa – est à la racine de l’imposture sociale. Viabilité économique du désir et de l’esprit ! Ma Doué !
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À leur décharge, il est vrai que, pour ne pas se laisser engloutir, il faut y mettre du sien ! Sur France-Inter, on nous massacre deux matinées de suite avec l’embrouille suivante : pour comprendre ce que veut dire service public, il suffit de connaître le sens de service et celui de public. Que deviendraient les banquets de nos belles provinces si l’on raisonnait ainsi avec trou normand ? Prendre les mots au pied de la lettre, les vider de leur substance, nier l’humanité qui, tant bien que mal, bon gré mal gré, y a fait quelque temps son nid : des bribes, il ne reste plus que des bribes, des épluchures de sens. Mais à quoi jouent donc ces gens-là ? Et pourquoi ? Pourquoi ?
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Je n’étais pas un inconditionnel du service public, mais je l’aimais bien. Comparé aux pitreries managériales, il prenait un petit air héroïque. Mais fournir de l’électricité ou du gaz aux Français, même avec de bonnes intentions, ne crée pas d’assez fortes raisons de vivre. L’humain plonge ses racines plus profond, ou plus haut. Un historique sans fondamental, eût dit Berque. Quand les cyclones de la technique, de l’économie mondialisée et de la propagande qui, eux, venaient de loin, se sont associés et renforcés, la barque des bonnes intentions a chaviré.
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Une lettre de motivation ? Pourquoi ? Vous pouvez avoir à vérifier mes compétences. Mes raisons, elles, ne sont qu’à moi.
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J’avoue tout. Je ne conseillerais jamais à des jeunes d’entrer dans une entreprise même si, ce qui est pure fantaisie, on devait leur y promettre toutes les sécurités. Je le dis sans colère, comme une conviction acquise : l’entreprise n’est pas un bon terreau pour le végétal humain. Les médiocres s’y enferment dans leur médiocrité, les meilleurs y perdent leurs qualités ou sont contraints de les mettre en veilleuse. De la base au sommet, l’entreprise développe les petites habiletés et cisaille les grands élans. Elle entraîne irrésistiblement vers le bas. Il faut s’y montrer plus avisé qu’intelligent, plus calculateur qu’inspiré, plus malin que diplomate. Ou se taire, ronger son frein, se mitonner son ulcère. C’est le lieu des fausses rencontres, de l’expression truquée, des enthousiasmes mimétiques, de la soumission à la force des choses ou plutôt à ceux qui se sont soumis, pour en tirer avantage et gloriole, à la force des choses. On s’accoutume à l’entreprise comme à une drogue : moins par plaisir ou par goût que parce qu’on se croit incapable de la quitter. Il serait léger, voire injuste, de rendre les dirigeants entièrement responsables de cet état de choses. Ce serait d’ailleurs leur faire un trop grand honneur : dans leur immense majorité, ce sont des suiveurs qui se prennent pour des prophètes. Mieux vaut chercher les raisons de la faillite du côté du destin, ou de l’histoire des deux derniers siècles. L’entreprise est probablement la première institution au monde où le poids des choses, loin d’être contrebalancé, comme il le fut presque toujours, par des instances de l’humain, est devenu sa voie, sa vérité, sa vie.
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Les parlotes actuelles sur le stress sont misérables. Il est risible d’y participer quand on prétend défendre les intérêts des salariés. Stress est un mot d’évitement, rien d’autre. Inutile de faire semblant d’en chercher les tenants et les aboutissants, de se demander s’il est ou non une maladie professionnelle, de chercher quel massage, quelle gymnastique, quelle pitrerie en atténuera le mieux les effets. Le stress est la conséquence directe de l’idéologie managériale, elle-même conséquence directe de la mondialisation économique, elle-même conséquence directe de l’idéologie qui la porte. En dupant les salariés sur la nature de leurs maux, et donc sur les moyens d’y remédier, les syndicats jouent délibérément le jeu patronal. Il existe un seul et unique remède au stress. Il tient en trois lettres qui forment un mot, il est vrai, de moins en moins usité : Non. Libre aux syndicats de ne pas le prononcer pour ne pas nuire aux intérêts du progressisme économique auquel ils collaborent avec ferveur et discipline. Libre à eux de continuer à couper les dépressions en quatre. Libre à eux de se donner des airs de sauveurs en aménageant des salles de repos, ou de détente, ou de relaxation, ou de dénégation. Libre à eux d’opposer au méchant stress de droite le gentil stress de gauche, au stress patrons le stress copains. La réalité, c’est que cette nouvelle couche de fumisterie alourdira nécessairement la souffrance. Un fauteuil de relaxation n’a jamais empêché personne de broyer du noir. Au contraire. La détente qu’il procure favorise la lucidité. On s’y voit menacé par ses adversaires et roulé par ses amis. Pendant que les vertèbres se décoincent et que les muscles se détendent, la tête turbine comme jamais. On s’y sent encore plus seul qu’ailleurs : le dernier cri, en quelque sorte, du confort moderne.
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Deux livres récents sur François Mauriac. Aux questions que j’étais venu lui poser, dans les années 60, alors que je préparais un article sur lui, il avait répondu avec patience et gentillesse. Puis, je ne sais plus par quel détour, il en était venu à parler de la pureté ; alors sa voix brisée s’était animée. Il s’était tourné vers ma jeune collaboratrice venue prendre des notes : « La pureté, Mademoiselle, la pureté… » Il m’est arrivé d’en sourire. C’était pourtant un propos magnifique, d’une absolue simplicité, d’une franchise souveraine, d’une familiarité amicale et respectueuse. Une âme charnelle parlait à une autre âme charnelle. Les mots, la prononciation, tout était brûlant et aérien, infiniment libre et droit. Quand je songe à cet instant, une hache fend d’un seul coup la sottise du temps, et la mienne. D’un côté, retombe le moralisme cruel, ses divagations frustrées, les vilaines raisons qui les orchestrent, ses vérités mortes, sa haine jamais avouée du corps ; de l’autre, la libération à quatre sous, ce triste oiseau aux ailes coupées, ses démonstrations épaisses, ses rodomontades pitoyables. J’aurai eu à me défendre de l’un, puis de l’autre ; bien mal dans les deux cas.  Sur Mauriac, un bon vieux scoop d’une cinquantaine d’années pointe à nouveau le nez : les tentations homosexuelles de l’auteur de Genitrix. Bon courage à ceux qui écriront là-dessus. Il faudra tout dire, tout mettre ensemble, les petites histoires et les grands débats, ce qui est du corps et ce qui est de l’âme, et l’impossible jonction. Il faudra parler d’Asmodée, le jeune dieu qui soulève les toitures et révèle les secrets des familles. Il faudra montrer la passion de Mauriac pour ce Jésus qui, tout à la fois, foudroie, garantit et transfigure ses rêves d’enfant. Tâche presque impossible, pas seulement quand il s’agit de Mauriac. Sur les sujets qui touchent à l’être, le silence n’est pas toujours malsain, ni hypocrite. Il aurait évité, par exemple, de donner de Mauriac l’image trop attendue d’un homme qu’une passion inassouvie des jeunes gens faisait « souffrir comme un damné ». La réalité devait être plus complexe. J’entends encore Mauriac murmurer : « Je suis un homme très tenté. » Sa voix, à cet instant, était d’une telle justesse, si indemne d’exhibition et de componction, qu’elle renvoyait symétriquement au même néant les vieilles inhibitions et les transgressions tapageuses. Elle congédiait d’une seule vibration et les douaniers véreux de la vérité, pressés d’en réserver le chemin à leurs frustrations, et les publicitaires de la satisfaction, affairés à la garder disponible en rayon jusqu’à sa date de péremption.
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Au flanc d’un camion, ce message d’espoir : « Une autre idée de la pomme de terre. »
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Les médias sont des préservatifs. Ils barrent la route à certains virus et empêchent la vie de passer.
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CO2, le nouveau péché originel. Les grandes causes exigent humour et modestie. Il y a une bigoterie écologiste. Sauver les âmes, sauver la planète. Bonnes œuvres et tri sélectif.
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J’appréciais ses qualités. Maintenant à la retraite, il a exercé de hautes fonctions dans une entreprise nationale. Je reprends contact. Un immense mail m’arrive. Un seul sujet, ou à peu près : comment et pourquoi une coalition de jaloux et de méchants l’a empêché d’accéder à l’échelon supérieur. Merdre !
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Chacun a le devoir de comprendre comment fonctionne la lugubre mécanique sociale. Mais chacun a le droit de décider de s’y comporter comme elle ne fonctionne pas. Il faudra qu’on m’explique, si l’on accueille cette idée par des éclats de rire sous-tendus d’indignation contenue, à quel genre de liberté on croit.
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Tant pis si c’est une idée fixe, il faut que je revienne sur l’affaire. Aucune sympathie pour les guerres napoléoniennes : dois-je bouder les décrets signés à la lueur de l’incendie de Moscou ? Je ne suis pas un partisan de Nicolas Sarkozy : dois-je m’obliger à afficher du mépris pour le projet de suppression de la publicité sur les chaînes et radios publiques ? S’il peut le faire, qu’il le fasse. Cela pourrait rapporter de l’argent à un petit nombre de bouffe-tout qui en ont déjà trop ? Tant pis pour eux. Cela rapportera aussi, tant mieux pour nous tous, un peu de liberté à un grand nombre d’individus qui en manquent cruellement. Mais j’affabule. Que Nicolas Sarkozy soit l’initiateur de ce projet n’est pas la vraie raison de cette levée de boucliers. Ni même, bien qu’on puisse les entendre, les inquiétudes des gens des médias pour leur propre situation. La vraie raison, je crois l’avoir sentie dans les propos d’une journaliste. La télé que souhaite Sarkozy, disait-elle en substance, est nostalgique : c’est celle de son enfance. Jusque-là, je la suivais assez bien. Mais elle ajoutait que cette télé-là était « complètement dépassée dans le contexte concurrentiel actuel ». Elle touchait là au fond du problème. Et me donnait envie de m’asseoir en face d’elle, au fond d’un café, devant un empilement de soucoupes.
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Les élites, au-delà de leurs très accessoires différences d’opinions, sont associées au monde moderne, à ses projets, à son langage, à ses intérêts. Ce n’est pas vrai des petits, des obscurs, des sans grade. Pour eux, ce monde est un bloc de fatalité qu’ils ne se mêlent pas d’analyser. Non que la lucidité leur manque, ni qu’ils n’en pensent rien : un cocktail de sagesse, de prudence, de résignation, de méfiance, de dégoût les convainc de l’inutilité de composer avec lui. Ils ne veulent pas le comprendre, ils ne veulent pas le savoir. Ils jouissent de ses avantages, souffrent des blessures qu’il leur inflige, haussent les épaules quand il leur devient insupportable. C’est comme ça. Ne pas parler trop vite d’indifférence, de lâcheté. Les petits avalent le monde moderne tout rond. Il leur reste sur l’estomac. Ils ne le discutent pas, mais ne le digèrent pas non plus. Ils ne l’assimilent pas, ne s’en nourrissent pas.
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Les élites, elles, dissèquent la modernité, la commentent, l’évaluent. Elle leur squatte constamment l’esprit, c’est leur modèle, leur patron. Elles s’en imprègnent, s’en imbibent. À force de parler d’elle, elles finissent par parler pour elle. À force de s’en faire les interprètes, elles finissent par s’en faire les avocats. Les obscurs sont dans un rapport de fatalité avec le monde moderne : les élites sont avec lui dans un rapport de nécessité. Toucher à la pub dans le service public devient une incongruité, un manque de savoir vivre, un attentat contre les mœurs établies. Quand cette journaliste parle d’une mesure « complètement dépassée dans le contexte concurrentiel actuel », elle révèle la profondeur de sa dépendance, la gravité de son addiction. La pub, pas nécessaire ? Elle qui existe si fort ? Qui est si puissante ? S’indigner du désordre du monde en s’inclinant respectueusement devant le poids des choses : c’est la stratégie des élites, leur névrose.
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Leur soumission fondamentale à la modernité s’orne de toutes sortes de protestations compensatoires, le plus souvent formelles ou morales. Loin d’être toujours illégitimes, elles procèdent pourtant d’une intention mensongère. Par le militantisme moral, par l’émulsion langagière qu’il provoque, les élites tâchent de faire oublier leurs capitulations majeures, et de masquer la honte secrète où elles les jettent. Mais la réalité est là. Vivre le monde moderne comme nécessité, c’est beaucoup moins honorable que de le vivre comme fatalité. Les élites ne peuvent échapper que par miracle à la rouerie, à la mauvaise foi, au distinguo douteux. Les sans grade ont choisi la meilleure part. On peut encore trouver chez eux, même si c’est à l’état de traces ou de résidu, un peu de stoïcisme. Les élites ne disposent plus d’aucune réserve de sens. Elles n’ont devant elles qu’une fuite éperdue, et inutile. Leur seule possibilité de salut, par quoi elles retrouvent leur dignité, c’est de redécouvrir en elles, sans un regard sur les gravats parmi lesquels elles évoluent, la vaillance de l’intelligence et la patience de la sensibilité. C’est-à-dire de manifester, dans la vie quotidienne, le courage de l’ambiguïté silencieuse. Puis, quand les circonstances l’exigent, l’héroïsme de la rupture implacable.
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Une fois par semaine, le samedi matin, ils entrent au cyber, s’assoient dos à dos devant les ordis. Il lui envoie un mail : « Je t’aime ». Elle l’ouvre et répond : « Moi aussi. » Ça leur coûte un euro chacun. Chevaleresque, il paye. Chevaleresque, elle le laisse payer. Ils s’en vont main dans la main. La modernité vient de crever.
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Je suis ainsi fait que j’ai le besoin impérieux de défendre quiconque est attaqué dans son existence propre. Plus : l’envie me vient de plaider pour l’aberration montrée du doigt, d’en souligner les aspects plaisants. Dans les reproches qu’on fait au bling-bling présidentiel, je ne vois guère que l’aigre vertu de gens qui ont l’avantage d’une familiarité plus ancienne avec l’argent et ont eu tout loisir de peaufiner la distinction de leurs relations avec lui. Cela dit, place aux choses sérieuses. Le retour de la France dans l’Otan, décision qui place notre pays de facto sous influence américaine, m’indigne, me blesse, me révolte. La politique se fait selon l’esprit : sinon, ouvrir boutique. Elle est distance intellectuelle et affirmation morale. L’une et l’autre interdisent d’aligner la France sur les intérêts les plus lourds et les plus discutables de l’Occident. L’une et l’autre interdisent de mépriser ce goût que l’Histoire a donné au peuple français de faire entendre sa voix sans morgue ni volonté de puissance, mais non plus sans crainte ni esprit de soumission. L’une et l’autre interdisent de priver le monde d’un recours qui, dans l’affaire irakienne comme dans tant d’autres, a déployé une puissance pacifique infiniment supérieure à celle des différents bavardoirs internationaux. On accable la jeunesse, et on la méprise, quand on borne son intelligence à des problématiques agonisantes, ses ambitions à des réussites faisandées. Je pressens avec angoisse les insolubles contradictions dans lesquelles une telle décision va jeter les jeunes, les travailleurs, les familles. J’entends déjà l’alibi grandiose qu’elle fournira à une volière de tyranneaux illettrés, à un bassin de requins bien peignés. Ni géopoliticien ni diplomate, je connais comme ma poche les dégâts que provoque un abandon de ce genre quand l’écho en parvient à la conscience des humbles. Proprement désolant. Accablant. D’une certaine manière, bien sûr, c’est la fin des illusions. Je ne crois pas un instant que ceux qui protestent aujourd’hui contre cette décision l’annuleront s’ils reviennent un jour au pouvoir. Je ne cherche pas davantage de recours à gauche contre cette démission que je n’en ai cherché à droite contre la politique mitterrandienne de « réconciliation avec l’entreprise » qui allait exactement dans le même sens. La fin des illusions, oui. Mais, comme l’annonça fièrement Maurice Schumann à l’instant où la France sembla avoir tout perdu : « Nous entrons maintenant dans le temps de l’espérance. »
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Trop facile de rêver ! Pourtant, je rêve. Stanislas Fumet, Edmond Michelet, les gaullistes de gauche, les chrétiens engagés, Pierre Emmanuel, les discussions avec Francis Jeanson au bar du Pont-Royal, les week-ends chez Jacques Berque, les colères de Gaston Miron contre les saboteurs de la langue, les débats entre chrétiens et communistes sur les choses premières, Aragon venant lire devant les ouvriers de Jeumont-Schneider, à ma demande, des poèmes dont ils ne comprenaient pas grand-chose, mais qu’ils sentaient beaux. Ah ! cette soirée ! Jusqu’à quatre heures du matin, relayé de temps en temps par une chanson de Catherine Sauvage, il ne leur avait pas épargné un seul vers du Voyage d’Italie, immense évocation de la vie de Marceline Desbordes-Valmore ! Et les bagarres, qu’elles étaient vivantes, les bagarres ! Quand Mauriac avait arrangé à sa façon le malheureux Joseph Laniel (un homme de droite, NDLR) ! M’est avis qu’il ne pensait ce jour-là ni aux garçons ni aux filles, plutôt à se tordre de rire !
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Je rêve, oui. Parfois c’est un peu triste, un tout petit peu. Mieux valait ne pas les mettre trop souvent ensemble, tous ceux-là. Pourtant, malgré tout ce qui les séparait, ils avaient comme une même odeur de vérité. Ils s’échappaient d’eux-mêmes. Ils faisaient place. Ils donnaient envie de jeter entre eux les ponts les plus audacieux. « Soit, m’avait dit un jour Jean Guitton, Aragon et moi, nous nous rencontrons sous votre crâne ! Mais seulement là !» Vrai. Sous son crâne, on faisait se rencontrer des gens, on fabriquait des collages de pensées ! Le beau jeu ! Le grand jeu ! Allons, bonhomme, rêve, rêve sans honte ! Mais n’oublie pas l’avertissement de Jacques Berque : « Rêver, c’est mourir peut-être, si cela veut dire lâcher pied devant les duretés de l’action et du combat. Au contraire, si cela veut dire émouvoir en soi les possibles, en appeler d’un présent inerte au rapatriement du passé et de l’avenir, c’est permettre l’action créatrice. Mais si l’alternance reste lâche? Alors, le positif et le négatif fondent dans ces limbes, envasent les contradictions, opposent à la violence des renouvellements la pente des accoutumances. »
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Un peuple, une société, un monde est en train de crever d’un cancer qui lui court de partout ; l’oreille tendue vers le poste, les gens se demandent s’il vaut mieux soigner le cor du pied gauche ou l’œil-de-perdrix du pied droit. Ils n’ont pas encore compris, ces braves dépanneurs universels, que les malades, c’est eux. Ils souffrent d’un manque de fer, ces poussins, il faut leur faire manger des lentilles ! Et, pour les mirettes, des myrtilles ! Diagnostic d’un praticien de l’école berquienne : carence de fondamental, carence gravissime, carence létale. Entre eux et les choses, entre eux et les autres, trop de préservatifs mentaux. La vie ne leur va plus au cœur et ils ne vont plus en son cœur. Ils sont désamorcés. On leur raconte qu’ils sont des acteurs ! Les pauvres ! Des pétards abandonnés qui se tortillent sur la prairie pour la distraction des vaches ! De temps en temps, ils se calment, et ne rêvent plus que de s’arranger. Mais les arrangements, c’est toujours direction nulle part.
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La flamme olympique vacille, on dirait. C’est honnête de sa part.

Le grand écart

LE MARCHÉ XVII

Avant de franchir pour la dernière fois la porte du jardin, elle se baisse pour ôter d’un massif une feuille morte. D’une phrase, satisfecit souriant où vibre une fraîche ironie, elle rend les honneurs à trente ans de sa vie : « Nous aurons passé ici une bonne retraite », dit-elle. Et soudain, à côté de l’alerte et grave nonagénaire, voici le jeune Claudel, le presque ado Claudel qui, du haut de ses dix-neuf ans, lui fait écho. C’est dans Tête d’Or. L’empereur a été blessé au combat ; on l’a laissé pour mort sur le champ de bataille, la tête enveloppée de linges. Mais il se réveille, arrache ses pansements et prononce, en haletant, ces stupéfiantes paroles : « Combien – y a-t-il de temps – que j’étais vivant ? »
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La vieille dame et le jeune homme voient juste. La vie n’est pas ce que nous appelons la vie, la retraite non plus, ni l’esprit, ni le corps, ni rien. L’échappement, le génie de l’équivoque, voilà ce qui, pour Merleau-Ponty, définit l’homme. J’ai besoin de ce climat pour respirer. Je veux bien être dans le monde, dans l’époque ; je ne veux pas être du monde, de l’époque. S’étouffer dans le polochon du temps, en faire son terrain, sa pelouse, son champ de bataille, quelle platitude, quel ennui ! S’imaginer d’un autre monde, quelle folie ! Il me faut cet aller et retour, l’« état de transport », l’échappée pour je ne sais où. Le grand écart, figure majeure de la danse. Prendre ses grandes distances, comme on disait à l’école : les autres tout près, mais seulement au bout du bras, mes doigts effleurent leur épaule. « Tout est allusion », disait Jouhandeau. Sur la terre et dans l’Histoire, nous sommes des locataires provisoires. Ce n’est pas ainsi que nous vivons ? Soit. Mais c’est ainsi que nous sommes.
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Cet ami avait, comme on dit, vécu, et vivait encore beaucoup. À sa mode. À son seul plaisir, comme la Dame à la licorne du Musée de Cluny. Nous parlions de cet emploi si tenace, si fort, du mot vivre : un viveur, faire la vie… Soudain il s’interrompit. « Tu sais ce que c’est, le meilleur ? », me dit-il. Il hésita un peu, comme devant un aveu difficile. Et lâcha : « Le doux plaisir de ne rien faire. » Je ne crus nullement avoir affaire à une conversion. Pour lui, si je ne me trompe, la vie continue. Que me disait-il ? Que le plaisir est autre chose que le plaisir, la liberté plus que la liberté. Que tout est occasion d’échappement, que rien n’est cloué à soi et que, par conséquent, il faut bien s’y faire, rien n’est désespérant.
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Un petit livre épatant : les Leçons sur Tchouang-tseu de Jean-François Billeter. (Allia) On y découvre, entre autres personnages savoureux, ce sage nommé Le Grand Caché qui passe son temps à se taper sur les cuisses et à sautiller comme un moineau. Et qui, tout à coup, vous assène : « Je vais au hasard, je divague et, dans mon errance, je vois cela qui ne trompe pas. »
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Le travail intellectuel n’est pas celui du tribunal, pas celui de l’infirmerie, pas celui de l’école, pas celui du chantier. Il consiste à mieux comprendre quelle partition nous a été attribuée dans l’opéra fabuleux, et à la jouer, même si elle tient en trois mesures. Le reste est vieillerie dont on se raconte, pour ne pas l’envoyer au tri sélectif, que ça peut encore servir…
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Cet ouvrier parle de Florence Aubenas, qu’il a rencontrée au travail. Il dit, propos accablant pour le monde où nous sommes, qu’elle a un côté humain. Jadis, une interview de Brel, où il énonçait des vérités premières sur l’amitié, avait pris des allures de révélation messianique. Après quelques millénaires de civilisation, l’humanité est devenue une disposition qu’on salue, une particularité qu’on signale.
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Dans d’admirables textes de Tchouang-tseu, des charrons ou des cuisiniers parlent avec tant de profondeur de leur métier et des découvertes qu’on peut faire en construisant une roue ou en découpant un bœuf qu’on ne s’étonne pas de les voir traiter d’égal à égal avec l’empereur, qu’ils interpellent sans le moindre esprit de flagornerie : le niveau de langage et le degré d’être que supposent de telles conversations rendent cette simplicité toute naturelle. « Lorsque la musique est belle, tous les hommes sont égaux. » Impossible aujourd’hui. Les travailleurs, me dit un ami, sont devenus des accessoiristes. La compétence première exigée dans une entreprise, celle à laquelle sont subordonnés tous les apprentissages et toutes les qualités, c’est l’obéissance, généralement désignée par l’euphémisme savoir être. Encore y a-t-il des degrés dans l’art d’obéir. La servilité trop marquée ne convient pas. Un bon esclave ménage la susceptibilité de son maître ; une image de négrier blesserait sa délicatesse. L’obéissance doit être prévenante, active, participative. Les plus habiles, qui savent à quel instant il conviendra de reculer et de présenter leurs excuses, la nuancent d’un simulacre de contestation qui confirme au seigneur la supériorité des valeurs démocratiques.
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Dans la philosophie thomiste, le but du travail, manuel ou intellectuel, c’est la délectation de l’esprit. Je n’avais pas, à dix ans, une connaissance très précise de ces penseurs, mais je trouvais intolérable, grotesque, déraisonnable, vaguement obscène, la dramatisation des adultes qui me conjuraient d’étudier davantage et me promettaient, dans le cas contraire, enfer et damnation. J’ai un souvenir très précis des violences auxquelles l’incitation aux vertus scolaires peut conduire une famille : le sadisme suit toujours de près la certitude de faire le bien. Je prends d’instinct la défense des enfants qu’on morigène devant moi, j’ai besoin de les protéger contre ce déferlement d’angoisse mal maîtrisée, contre ces voix soudain solennellement métalliques, contre l’abominable fascisme éducatif qui se transmet – pour leur bien ! – de génération en génération. Un enfant se remet plus facilement d’avoir été un cancre et un feignant que d’avoir vu ceux qu’il voudrait aimer le plus dresser devant lui le tréteau de leurs peurs. Parents, voici mon conseil : signez d’avance, à la rentrée, les cahiers de notes de vos enfants et, de toute l’année, quoi qu’on vous raconte, n’y mettez plus le nez. Ainsi parle le Grand Caché !
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Pour les militants, tout est ici ; pour les esthètes, tout est ailleurs : deux facilités tristes. Tout ce qui a du sens est entre ici et ailleurs. C’est pourquoi aucune place ne nous est réservée ; jamais, pour rien, nulle part. Nous sommes les uns pour les autres ces cavaliers aux montures ruisselantes de sueur qui s’apportent des nouvelles du tout proche et du très loin.
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Dans Billeter : « Confucius à Lao-tseu : « Ça y est, j’ai trouvé. (…) Cela faisait longtemps que je résistais à la transformation ! Et dire que je voulais transformer les autres ! » « Cette fois, tu y es », dit Lao-tseu. »
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Dans toutes ces émissions sur Auschwitz, ce qui m’a vraiment touché, c’est un admirable dialogue entre Simone Veil et l’un de ses compagnons de déportation. On y voyait, précisément, que, même dans l’horreur de l’horreur, il y a encore possibilité d’échappement. J’ai aimé entendre parler de la beauté de la neige sur les arbres du camp, j’ai aimé la manière dont ces deux témoins montraient, presque en souriant, les matricules tatoués sur leur bras. Je voudrais savoir parler de ces sourires. Tout le malheur qu’on imagine, et bien plus, y était encore enclos, mais comme déposé, au sens de la lie dans une bouteille. Nous étions en plein pays de vérité, devant l’évidence que ce qu’il y a de plus terrifiant dans le mal, c’est qu’il n’est rien et que, dès lors, si ténu qu’il soit, si menacé, si héroïquement arraché à la souffrance, le moindre chant le montre dans son néant et finit, malgré tout, par tirer harmonie de ses ravages. Plutôt que de trop mettre en scène l’horreur, ou son décor, c’est cette musique qu’il faut faire entendre aux enfants ; c’est elle qui les protègera, c’est elle qui, autant qu’il sera possible, les immunisera. Le reste m’a moins convaincu, notamment les allusions à cette loi Gayssot qui mettait Jacques Derrida mal à l’aise. Je n’entre pas dans le débat juridique. Je dis ce que je sens. Quelque chose me souffle que, précisément parce que Auschwitz est Auschwitz, le juge souverain ne peut être que la conscience. Je crains que l’interdit et la sanction, en formalisant le débat, ne contribuent à en atténuer la nécessaire violence. En un mot, cette loi, à mes yeux, est en dessous de la situation, elle se trompe de niveau d’être. Je vois bien qu’en ne légiférant pas on prend le risque d’intolérables dénégations : comment faire autrement quand c’est l’instance de la conscience qui a le dernier mot ? Mais quelle valeur de formation peut avoir une adhésion contrainte ? Je partage l’indignation, la colère, le plus jamais ça qui sont, en quelque sorte, la matière de la loi Gayssot ; je ne partage pas le pessimisme autoritaire qui lui donne sa forme. C’est de ne pas s’exercer, ou de ne plus s’exercer que dans les domaines subalternes, que la liberté s’étiole et dépérit.
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Le roman de Pierre Mari, Résolution, a les excellentes critiques qu’il mérite. Aux yeux de l’auteur, une des plus précieuses réactions est venue du patron de l’hôtel où il descend quand il anime ses sessions de formation à Paris. Il l’attendait dans le hall ce matin-là, avec ses félicitations et deux livres à signer, un pour lui-même, l’autre pour son fils qui allait, il en était certain, dévorer ce roman. « Comprenez, M. Mari. Il vient de quitter la DRH de sa grande boîte d’informatique pour ne pas se faire abîmer la vie. »
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Chez un vieux, le cynisme peut parfois être fatigue, ressentiment, découragement : péché véniel. Chez un jeune, c’est un défaut de fabrication du cœur et de l’esprit. Sauf miracle, non récupérable.
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J’aime ces personnages du roman de Philip Roth, La Tache, qui « partent en quête d’une existence bien à eux ». J’aime le regard du romancier sur cette collection de paumés et de victimes, sur ces dindes et ces brutes qui ne sont des dindes et des brutes que pour autant qu’ils se refusent à eux-mêmes, et qu’un simple pas de côté conduit, sinon au bonheur, du moins, même dans la souffrance, même dans l’échec, à un sentiment plénier de la vie où la joie digère l’amertume, où, comme dit la Bible, « la solitude fleurit ». La Tache est un livre terrible et salutaire qui ne nous fait grâce d’aucune des dimensions de la révolte. Que se serait-il passé pour Coleman, ce professeur noir que la couleur de sa peau peut aisément faire passer pour un blanc, et qu’on accuse à tort, et pour cause, d’avoir proféré des propos racistes, si cette bévue du destin ne l’avait arraché à l’ennui de la routine ? Travailler au prestige d’une faculté ou d’une entreprise, cela remplit-il une vie ? Philip Roth décrit superbement l’accumulation, l’enchevêtrement d’éruptions existentielles que provoque ce clinamen imprévu. Rien ne paraît pouvoir stopper la réaction en chaîne, au point que le cadre où se situe l’action, une université champêtre et gaiement ordinaire, semble peu à peu s’évaporer, comme si la seule réalité américaine sérieuse, qu’elle triomphe ou qu’elle avorte, qu’elle s’exprime ou qu’elle reste latente, était une rage trop longtemps contenue, une insurrection secrète contre le monde, contre les autres et contre soi qu’absorbe, la plupart du temps, une plate morosité, mais qui, à certains instants, fusent en jaillissements exaltés. Ah ! nous n’en sommes plus aux moutons et aux chèvres de l’Ardèche, ni aux garçons de Nanterre dans les chambres des filles ! Ah ! nous n’en sommes plus aux bavardages des soixante-huitards, déjà parfumés d’une éloquence parlementaire qui s’est arrondie depuis avec leur bedon ! La Tache n’invite pas au délire politique, pas non plus à la volonté de changer le monde, qui suppose un levier en état de fonctionnement. La Tache exprime l’idée simple et terrifiante que tous les hommes, toutes les femmes sont à vif, que c’est comme ça, qu’il n’y a rien à en dire, rien à en faire, que les pensées générales sont des sottises et les remèdes des impostures. A-t-on assez observé comment ce roman met à distance ironique les problématiques les plus gargouillantes de la pensée occidentale, celle de l’identité notamment, à laquelle tout le monde, moi avec, s’est, durant un temps, laissé prendre ? Fini tout ça : la technique avale tout, et s’en fout. Nous n’éviterons pas un rendez-vous terrible avec nous-mêmes. À la casse, les décorations culturelles ! On ne nous attend pas à la pommade que nous appliquons sur la peine des autres, mais à la ferme passion avec laquelle nous épousons notre solitude. Sans autre promesse, sans autre garantie que le banco de cette Faunia qui est allée au bout du malheur : « Elle rit, femme au rire facile. Malgré tout ce qu’elle sait de la réalité, malgré le vain, l’irrésistible désespoir de sa vie, malgré le chaos, l’indifférence, elle danse ! » C’est peu ? Peut-être…
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Les militantes de « Ni putes ni soumises » n’ont rien d’antipathique, bien au contraire, mais le nom qu’elles ont donné à leur mouvement m’embarrasse, le ni putes plus encore que le ni soumises. Je ne doute nullement qu’elles ne soient ni ceci ni cela, mais cette respectabilité proclamée a le parfum éventé des vertus petites-bourgeoises. Les associations d’idées sont farceuses : je me suis retrouvé au patronage, où je faisais partie des chouchous, comme tous les enfants de l’école privée, ces merveilleuses petites âmes payantes. Il m’était difficile de comprendre comment l’abbé, qui ne cessait de nous parler dévouement et charité, pouvait entrer dans de telles colères contre ceux qu’il appelait les voyous de la communale. Je me sentais le premier de ces voyous, le voyou en chef, c’était troublant et délicieux. Cela n’a jamais cessé. À chaque fois qu’on définit un camp des bons, je me sens projeté dans le camp des mauvais. L’absurdité de la protection morale dont mon enfance et ma jeunesse ont été accablées a développé en moi, je ne sais comment, l’impossibilité du pharisaïsme moral. Des inimitiés vigoureuses, certes, et même quelques haines solides ; jamais cette supériorité vulgaire. Peut-être le cinéma a-t-il joué un rôle là-dedans, ce Palais des Fêtes de Montrouge où nous allions toutes les semaines, où cette famille pudibonde levait bizarrement tous ses interdits en me laissant tout voir, tout éponger, tout rêver. Ah ! Ginette Leclerc ! Ah ! Anouk Aimée ! Et ces ambiances de boîtes de nuit, ces bandits gominés, ces brutes hautaines ! Tout cela était tellement plus fort, tellement plus vrai que les jeunes gens distingués de Louis-le-Grand, ces arrivistes du cerveau, ces dociles qui avaient déjà encagé leurs rêves ! Je n’aime pas qu’on se décerne des brevets de vertu. Pour ma part, je m’en garderai. Primo, raison suffisante, parce que mon curriculum me l’interdit. Secundo, raison décisive, parce que le rien de ce qui est humain ne m’est étranger s’accommode mal des airs effarouchés. Vous n’êtes pas des putes, chères militantes ? Certes. Mais, s’il vous plaît, vivez cela comme une chance plutôt que d’en tirer vanité. Et ne trouvez pas dans vos malheurs l’occasion de blesser celles qui, bien qu’elles fassent les putes, comme on dirait en italien, ne le sont pas plus que vous.
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Seul résultat des manifestations lycéennes, quelques jeunes langues bien pendues vont bientôt s’agiter dans les couloirs des congrès politiques et se passionner pour les aventures du baron Thibault et du camarade Seillière. Pauvres gosses ! En songeant à certains destins, je me dis que le pire n’est pas toujours le pire. La prison de la forme, du déclaré, du manifesté, du signifié sans signifiant, on ne la quitte plus, on l’emmène dans son paquetage, plus on la crache plus elle vous tient. Quelle misère ! Non, le pire n’est pas toujours le pire. De nos jours, le moisi est peut-être encore le moins malsain. « La liberté, c’est de faire de la musique avec ce qu’on a en soi de plus ignoble ». J’ai pensé à Genêt quand j’ai trouvé cette phrase, dans le métro, il y a bien longtemps, en lisant le Kalevala de ma voisine par-dessus son épaule. Voilà un refuge détestable. Mais c’est un refuge.
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Nous avons mieux. Laisser partir le cœur sans visa. Le laisser errer comme Le Grand Caché. J’ouvre au hasard un volume des Œuvres complètes de François Mauriac : une page du Bloc-Notes de mai 1959. Quel vent frais ! Mais oui, on peut vivre ! Mauriac et Henry Miller, ces deux-là, on me l’accordera, ne sont pas cousins germains. Ce soir-là, ils étaient les invités de Pierre Dumayet à la télévision. Miller, écrit Mauriac, « répond avec une sincérité qui nous touche dès les premières paroles. Il dit qu’il ne recherche pas l’obscène ; quand il rencontre ce qui relève du sexe, il ne l’escamote pas : c’est du même ordre à ses yeux que le boire et le manger. » Mauriac admire que Miller réponde à toutes les lettres, qu’il épargne à ses correspondants les angoisses qu’il a lui-même connues. Et il termine ainsi, avec une superbe simplicité : « À sa descente de l’estrade, je vais à lui. Nous nous serrons la main. Malicieux et gentil, il m’a écouté lui aussi, et me dit que je parlais si bien que j’avais l’air de dicter un roman. C’était la première fois qu’il paraissait à la télévision. Il ajoute : « Ce sera la dernière. » Je le sens blessé. Grande sympathie tout à coup pour lui. Je lui demande où il habite : « À Montmartre… » Je suis au moment de le prier de me laisser l’y conduire en auto. Mais quelqu’un l’accompagne, son éditeur peut-être. Je crains d’être indiscret… Une occasion perdue. Comme tant d’autres. Tout ce que nous aurons manqué ! Toutes les rencontres qui ont dépendu de nous… Mais presque toujours nous passons à côté. Adieu, Henry Miller. »
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« Je vais à lui. (…) Je crains d’être indiscret… (…) Presque toujours nous passons à côté. Adieu, Henry Miller. » Vivre, je vous dis.
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Si quelque chose a changé en moi, c’est que j’ai perdu le goût de faire la leçon aux gens. J’imagine quelques sourires dubitatifs. Je ne dis pas que j’en ai fini avec cette manie, mais que j’en sens de plus en plus l’inanité. Se débarrasse-t-on si aisément du tabac ou de l’alcool ? Il ne m’est pas plus facile de me défaire de l’obligation imbécile d’être exemplaire qui me fut imposée, et contre laquelle j’aurai lutté toute ma vie, tantôt en feignant d’y consentir, tantôt en n’étant plus exemplaire du tout. Non que je sois indifférent. Tout le contraire. C’est l’obligation de donner l’exemple qui stérilise, qui rend hypocrite, qui entraîne sur les terres arides de la volonté de puissance. Tout ça est à la surface de moi comme, sur un mur, les vieilles affiches déchirées d’un cirque médiocre. Les arrache qui voudra, elles ne comptent plus. Elles ne témoignent plus que de cette étrange indifférence fervente dont je me sens envahi. L’âge ?
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En politique, comme dans beaucoup de domaines, je suis devenu agnostique. Un peu comme le patriarche argentin du beau film de Vicente Minelli, Les quatre cavaliers de l’Apocalypse, dont un de ses fils dira, après sa mort : « C’était l’homme primitif, il était neutre. » Il y a en effet des situations où cette primitivité – ou cet échappement, ou ce fondamental – ne peut pas, ne peut plus embrayer sur les données du temps, où l’on est obligé de les enjamber du regard et de s’occuper d’autre chose. Cela se passait souvent ainsi, en formation, quand les gens me décrivaient par le menu des procédures administratives auxquelles je ne comprenais rien, s’enflammaient dans le récit de bisbilles minuscules, faisaient assaut de subtilité et de susceptibilité. Sans doute mettaient-ils mon silence et mon impassibilité sur le compte d’un souci d’impartialité. Ils se trompaient. Je me taisais parce que j’écoutais à peine, parce que je n’avais rien à dire, parce que je n’avais aucune opinion. J’étais trop occupé à les deviner, eux, trop attentif à leur voix, à leurs gestes, à la façon dont leur corps se débrouillait de leurs mots, à ce qui s’échangeait entre eux, ou non, à la naissance d’un rire, à l’instant où il s’étoufferait, à la densité de leur fatigue, à tout ce qui semblait aller de soi, et qui n’allait pas de soi. J’avais l’impression de remonter vers leur source, qui était aussi la mienne ; leurs mots étaient comme des joncs, comme les herbes agitées par le vent qui signalent la présence du ruisseau.
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En France, entre Français, ils tiennent leurs réunions en anglais. Les pauvres gens ! À mon avis, leurs épouses doivent se faire effacer les rides et tirer la peau. Ça marche ensemble : repartir de zéro. Ils y resteront.
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C’était au début des années 70. L’animateur de la Maison des jeunes et de la culture de Montereau, un jeune intellectuel africain, m’avait invité à passer une soirée avec une vingtaine d’adolescents. À peine les avais-je interrogés que, bien entraînés aux visites, ils s’installaient solidement dans leur rôle de victimes. Il est vrai que, même si les Trente Glorieuses n’étaient pas encore terminées, leur situation n’était pas enviable ; mais ils en rajoutaient. Comme s’ils s’étaient répartis les rôles, chacun récita son chapitre du roman des grands ensembles. Le premier parla du chômage, le second des flics, un autre du bruit, un autre des bagarres, un autre de l’inconfort des logements, un autre de l’ennui. De discrets hochements de tête accompagnaient chaque intervention. L’image me venait d’une figure de danse folklorique, quand un danseur ou une danseuse sort du groupe pour son solo, puis y rentre sous les applaudissements. Ils ne mentaient pas, mais ils ne parlaient pas vrai. Les paroles étaient justes, la musique fausse. Que répondre ? Je leur dis que j’avais apprécié le climat d’amitié de leur groupe. Cette phrase, qui m’avait échappé, redoubla ma gêne. Je ne pouvais rien faire de mieux. Insister sur leurs difficultés, pleurer avec eux ? Les inonder de consolations vaseuses ? Je partis mal à l’aise, vaguement mécontent. Ce genre d’expérience ne sert à rien. Cinéma.
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Jean Guitton disait qu’il fallait chercher la vérité plutôt que la vie, que la vie est un mot incertain et complexe, que la vérité, elle, ne trompe jamais. Il n’avait sans doute pas tort mais, pour ma part, je n’imagine pas qu’une pensée puisse être plus décisive qu’un visage, qu’une idée puisse l’emporter sur un sentiment. J’ajouterais volontiers que c’est affaire de tempérament si je n’imaginais Guitton s’agitant dans sa tombe pour me signifier que, décidément, je ne comprends rien à rien.
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La lutte des classes va se terminer par le triomphe de la classe affaires.
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Un de ces derniers étés, dans un bistrot d’Asti, dans le Piémont, j’ai voulu vérifier une légende familiale selon laquelle un de nos ancêtres piémontais, Carlo Prato, serait l’auteur de refrains populaires très célèbres dans ces montagnes. Trois ouvrières étaient là, deux travaillaient à la vigne, la troisième chez un tailleur. Je leur ai demandé si elles connaissaient Ciaò Turin. Pour toute réponse, elles l’ont chanté en chœur. C’est une belle chanson triste de départ, une histoire d’émigration comme il s’en écrit dans tous les continents. J’ai renouvelé l’expérience dans deux ou trois villages, toujours avec succès. Une appartenance ignorée, quel bonheur !
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Je sais bien pourquoi, si je ne me surveille pas, je dis émigrés, émigration pour immigrés, immigration. Ma mère, mes oncles et tantes, venus en France à la fin des années 20, se disaient émigrés. Problème de langue ? Je ne crois pas. C’est le départ qui nous désigne, pas l’arrivée.

(15 mars 2005)